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dira la prudence, les sentimens religieux sont sujets à s’obscurcir ou à s’égarer : si le pasteur chargé d’enseigner est nommé à la majorité des voix, il se peut que la majorité soit incrédule, superstitieuse, antichrétienne, et elle ne nommera qu’un déiste, un spiritiste, un faux prophète. — Tant mieux ! cela forcera ceux qui croient encore, ne fussent-ils que deux, à se retirer pour croire ensemble, et deux croyans chez qui le monde peut voir ce que c’est que la foi ont plus de puissance de propagande que des centaines de croyans noyés et perdus pour tous les yeux au milieu d’une foule de faux croyans; plus la foi se sent abandonnée des hommes, plus elle est sure de ne pas s’abandonner elle-même. — Mais qu’il vienne une époque comme le XVIIIe siècle, et il n’y aura plus d’église!... — Tant mieux! cela est mille fois préférable à une église qui ne le serait que de nom, à un mensonge officiel qui ne servirait qu’à déguiser aux hommes leur véritable état. L’incrédulité au moins sera en face d’elle-même; le vide des âmes, traduit en fait patent, les forcera à sentir en elles les besoins que la foi seule peut satisfaire.

Il nous semble qu’il y aurait plus d’un argument à faire valoir en faveur d’un système moins absolu. Cela est bien logique, et dans notre monde, où il s’agit toujours de concilier des nécessités opposées, la logique d’une théorie est toujours une raison de s’en défier; mais nous ne voulons pas discuter: nous avouerons seulement que nous avons peine à partager la confiance complète avec laquelle l’auteur des États-Unis en 1861 se déclare pour le principe volontaire. Peut-être est-ce la suite de notre éducation et de nos habitudes : le fait est en tout cas que nous ne pouvons nous défendre d’une certaine inquiétude à l’idée de tous ces esprits abandonnés, non-seulement sans aucune autorité qui les contienne, mais sans aucune influence qui leur vienne en aide, aux seules inspirations de leur sagesse ou de leur folie; malgré nous, nous sommes un peu effrayés par ce nouvel état de choses, où les ignorances et les mauvaises tendances seraient absolument sûres de produire toutes leurs conséquences, et où les hommes seraient certains de ne recevoir une bonne instruction qu’à la condition d’être assez sages d’abord pour reconnaître la vérité et pour se la faire enseigner. En toute chose, l’Amérique est peut-être un peu trop portée à croire que l’art d’apprendre se réduit à ne point accepter de maîtres, de peur de perdre son originalité et sa sincérité. Il est vrai que ce n’est là aussi qu’un idéal : en réalité, l’influence de l’homme sur l’homme, l’ascendant de la conviction sur l’incertitude, de l’expérience sur l’ignorance, resteront toujours là. Quoi qu’il en soit, nous avons au moins une utile leçon à tirer de tout cela. Pendant des siècles, l’intelligence humaine s’est dépensée à chercher le moyen d’assurer la prospérité sociale en dépit des incompétences et des vices individuels; elle a tâché d’organiser des institutions et des règlemens qui garantissent la bonne expédition des affaires, sans que les individus fussent obligés d’être sages. Malheureusement l’expérience a prouvé que cette méthode d’autorité avait un grave inconvénient, celui de perpétuer