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soif ; à ce supplice le peintre avait ajouté la terreur qu’inspire au misérable un rocher suspendu au-dessus de sa tête.

Telles étaient ces deux immenses pages, dont les anciens ont admiré l’abondance et la beauté, que les modernes ne peuvent qu’entrevoir et qui ne doivent se comparer qu’aux plus grandes œuvres de l’Italie : à l’église d’Assise, décorée par Giotto, à la chapelle Sixtine, aux fresques du Vatican. Si les peintures du Campo-Santo de Pise étaient d’un seul auteur, je le citerais plus volontiers encore à cause de ses portiques et de son plan, qui n’est pas sans affinité peut-être avec le plan de la Lesché de Delphes.

Quand Polygnote a terminé une entreprise aussi magnifique, nous perdons sa trace. Qu’est-il devenu ? A-t-il achevé sa vie à Delphes, entouré d’honneurs, jouissant de la reconnaissance publique et de sa gloire ? Est-il retourné à Athènes, attiré par l’éclat croissant du règne de Périclès et le désir de voir les chefs-d’œuvre de ses successeurs ? A-t-il voulu enfin revoir l’île de Thasos et mourir aux lieux où il était né ? Nous l’ignorons, et le silence de l’histoire n’a rien qui nuise à la renommée de Polygnote. Si les détails de sa vie nous échappent, ses œuvres nous sont décrites par les historiens de l’art. L’homme reste dans l’ombre, mais son génie n’en brille que d’une plus pure lumière.


IV

Polygnote fit faire à la peinture grecque un pas immense. Entre lui et les artistes qui l’ont précédé, il y a plus de distance encore qu’entre Phidias et les sculpteurs de l’époque éginétique. Phidias ne brise les entraves de l’ancien style qu’après s’être nourri de ses fortes traditions, et après avoir emprunté aux écoles doriennes la science solide et précise qui soutiendra sa liberté toute-puissante et sa personnalité. Polygnote trouve l’art beaucoup plus imparfait ; avant de créer de belles choses, il faut qu’il invente lui-même des procédés et qu’il étende les limites matérielles de la peinture. C’est lui qui enseigne l’emploi de l’ocre attique et tire une couleur nouvelle des résidus du pressoir. C’est lui qui fait le premier essai de la peinture à la cire. Malgré ces découvertes, les anciens le comptent parmi les peintres qui ne se sont servis que de quatre couleurs. Que devaient donc faire les artistes qui vivaient avant lui ?

Toutefois on ne doit pas croire qu’une palette de quatre couleurs soit pauvre et sans ressources. Le rouge, le jaune, le bleu, le blanc, se prêtent à des combinaisons sans nombre, qui suffisent pour produire un coloris éclatant. Tel tableau de Velasquez, le Couronnement de la Vierge par exemple, n’est peint qu’avec du rouge et du