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puissance, il est plus difficile de s’en passer ; on peut lui susciter des entraves et vouloir la contenir : ainsi qu’on l’a dit, la lame d’acier est toujours là qui se redresse avec d’autant plus d’énergie qu’elle a été plus violemment recourbée. Quoi qu’on fasse donc dans notre état social, tout aboutit à la presse et au contrôle de l’opinion ; mais la presse, c’est le combat : dans sa laborieuse carrière, elle est vouée comme par nature à ces polémiques judiciaires où la mesure du droit de contrôle sur la limite de l’intérêt public et de l’intérêt privé est un sujet d’éternel conflit. Il était réservé au barreau d’entrer dans cette large voie de la défense, d’aborder ces questions de presse au fond desquelles existe toujours une question de liberté, selon Royer-Collard, car dans la pensée des législateurs de 1789 c’est aux tribunaux, c’est-à-dire à la justice et au barreau, qu’était confiée l’arche sainte des libertés publiques.

Pour saisir cette institution dans son œuvre sociale et juger les hommes qui ont le noble orgueil de la servir, il est donc nécessaire de sortir de la sphère des contentions purement privées, et de rechercher à de plus larges points de vue quels sont les gages que l’institution et ses adeptes ont pu donner à la liberté. « J’ose dire, a écrit M. Rousse, qu’au milieu des mœurs très effacées de notre temps on chercherait vainement une société qui soit plus originale encore et au fond plus vraiment française. Depuis 1789, les avocats n’ont pas avancé d’un jour, ils n’ont pas reculé d’une idée. À travers tous les mécomptes et au lendemain de tous les revers, ils croient à la force inaltérable du droit, de la loi, de l’intelligence qui discute et qui gouverne, enfin aux renaissances les plus inespérées de cette liberté cent fois vaincue, dont les excès mêmes et les malheurs n’ont jamais découragé leur foi crédule. » On se demandera si ce portrait n’est pas un peu flatté. Est-il bien sûr que l’opinion qu’on se fait du barreau dans le monde soit aussi favorable ? On voudrait le croire, il est plus prudent d’en douter. On étonnerait beaucoup de gens peut-être en leur disant qu’au sein de notre société railleuse et sceptique il existe une espèce de corps d’ulémas où les enseignemens et les traditions se conservent, où la liberté n’a point perdu tout son prix, et où dans l’ordre des choses politiques les déviations sont encore jugées avec rigueur, censurées même. Comment se fait-il alors, dira-t-on, que ce corps sacré soit environné d’un tel mystère et que ses rayonnemens ne viennent pas dissiper plus souvent dans les esprits les nuages et l’ombre qui s’y amoncellent ? Le barreau ne serait-il donc qu’un refuge de contemplateurs ignorés ou de nonchalans philosophes ? Non pas précisément ; mais, il faut en convenir, depuis que les questions de presse ne sont plus portées devant le jury, depuis que la plaidoirie dans ces