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ESSAIS ET NOTICES.


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LES MASSACRES D’EUROPÉENS AU JAPON.


De tragiques événemens viennent encore d’appeler l’attention de l’Europe sur les questions qui s’agitent dans l’empire japonais entre la population indigène et les étrangers. Ces événemens ont assez de gravité pour qu’on en recherche l’origine et qu’on s’attache à exposer fidèlement la situation qui en résulte. À la fin du mois de juin 1862, deux marins faisant partie de la garde dont le ministre anglais à Yédo avait jugé prudent de s’entourer étaient assassinés, et quelques semaines plus tard, le 14 septembre 1862, quatre personnes appartenant également à la nation anglaise étaient assaillies en plein jour sur la grande route qui conduit de Yokuhama à Yédo. Une de ces personnes était mortellement frappée, deux autres grièvement blessées ; la quatrième, une femme, réussissait à s’échapper sans recevoir d’injure, non pas grâce à l’humanité des Japonais, mais grâce au dévouement de son compatriote, M. Lenox Richardson, qui payait de sa vie cette courageuse résistance aux assassins.

L’assassinat des deux marins est resté et restera un événement mystérieux. Les victimes sont mortes avant d’avoir pu révéler la vérité. Dans la nuit du 26 au 27 juin, par un temps très sombre, la sentinelle du colonel Neale, chargé d’affaires de sa majesté britannique à Yédo, entendait quelqu’un s’approcher de la place où elle se trouvait postée. Elle criait : Qui vive ? et un Japonais lui donnait le mot de passe. Un autre Japonais, qui se trouvait à côté du marin et qui était chargé comme lui de la garde de la légation, levait sa lanterne, et à cette lueur l’Anglais apercevait à quelques pas de lui un homme qui traversait en rampant un petit pont, dans le jardin de la légation, en face des appartemens du chargé d’affaires. La sentinelle eut des soupçons, se tint prête à faire feu, elle avança avec précaution ; mais soudain le Japonais, appuyé sur un genou et allongeant sa lance sans avoir beaucoup changé de position, lui transperça la poitrine. Le marin tomba en tirant un coup de fusil pour donner l’alarme. Le meurtrier, brandissant son sabre, se rua sur lui et l’acheva. La sentinelle japonaise s’enfuit pour chercher du secours. L’assassin se retira protégé par l’obscurité ; mais quelques pas plus loin il renversa le sergent de la garde anglaise faisant sa ronde. Il l’attaqua aussitôt et lui fit plusieurs blessures mortelles. Le sergent déchargea son revolver sur son agresseur, puis il se traîna jusqu’à la porte de son chef, où celui-ci le trouva, quelques minutes plus tard, expirant. Des recherches immédiates furent faites. On trouva sur le lieu du crime une longue lance, en tout pareille aux lances dont est armée la garde japonaise de la légation. Le meurtrier avait disparu. On chercha cependant sa trace, car il avait été blessé, soit par la sentinelle, soit par le sergent, et on découvrit qu’il avait trouvé abri dans le corps de garde des