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bientôt un champ d’action autrement vaste et attrayant à son esprit vif, remuant et altier. Elle chercha ses relations de ce côté, et si dans les derniers temps elle témoigna une faveur si marquée à M. de Schleinitz, c’est surtout, dit-on, à cause de l’ardeur que portait cet homme d’état dans la question allemande. De pareilles dispositions d’une épouse sincèrement aimée durent exercer à la longue leur influence naturelle sur le prince de Prusse, et ils eurent bientôt tous les deux une idée favorite, et qui, pour n’être probablement au fond qu’un arrangement de famille, n’en sembla pas moins l’indice d’une communauté de vues en politique. Ils caressaient dès longtemps le projet (réalisé depuis en 1857) d’unir leur fils aîné à la fille de la reine Victoria. Or tout ce qui resserrait les liens entre la Prusse et l’Angleterre libérale et protestante ressemblait à une avance faite à l’opinion populaire, et risquait de déplaire à la cour. En effet, pendant que le Times, dans une de ces boutades que lui arrachait l’attitude irrésolue de la Prusse au moment des complications orientales, déconseillait à la « gracieuse reine » de confier sa fille à un pays qui méritait si peu le respect et la sympathie, a et qui allait évidemment au-devant d’une terrible catastrophe, » certains courtisans de Potsdam demandaient de leur côté avec une incroyable naïveté s’il était bien digne de la maison de Hohenzollern de se lier par le sang avec une dynastie qui n’était souveraine qu’à demi et tenue en dépendance par une chambre des communes ! Enfin les allures piétistes de jour en jour plus prononcées dans l’entourage du frère royal, et qui ne manquaient certes pas d’hypocrisie, ne laissèrent point de rebuter une nature honnête qui se piquait même d’une franchise et d’une rudesse de soldat, et c’est ainsi que se combinèrent des influences diverses pour détacher peu à peu le prince de ses anciennes amitiés et pour amener une rupture devenue patente dans la crise de 1854. Aussi la camarilla mit-elle tout en œuvre pour empêcher l’héritier présomptif d’exercer le pouvoir après la déclaration de la maladie du roi (octobre 1857).

On raconte d’étranges choses sur le complot qui fut ourdi vers cette époque au sein du parti de la cour, afin de retenir à toute force dans les mains des fidèles les rênes de l’état, qui allaient leur échapper. Les défenseurs à outrance du principe monarchique étaient assez près de sacrifier alors la rigueur de ce principe même à leur rancune et à leur méfiance, et on alla jusqu’à poser la question du partage de la prérogative royale !… Pendant toute une année, le prince de Prusse eut la plus ingrate et la plus difficile des positions ; il exerça nominalement le pouvoir en vertu d’une prorogation royale renouvelée de trois mois en trois mois, tandis que la direction véritable