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de petits poissons. Sur la chaussée qui joint Colabah à Bombay couraient d’un pas rapide, les jambes nues et la poitrine découverte, les vendeurs de légumes et les pêcheurs, empressés d’arriver à la ville avant que la chaleur et la poussière eussent flétri leurs marchandises. Bientôt la brise, qui gardait encore l’empreinte des fraîcheurs de la nuit, cessa de souffler. Le bourdonnement des insectes devint plus intense à mesure que le chant des petits oiseaux s’apaisait dans les buissons, et les gouttes de rosée, qui avaient un instant brillé comme des milliers de perles sur les tiges de toutes les plantes, se fondirent comme les étoiles qui s’éteignent devant la splendeur du jour. Le soleil, qui s’élevait victorieusement au-dessus des montagnes de la côte, commençait à embraser l’atmosphère. Alors le capitaine Mackinson vint s’asseoir dans son salon, dont les larges fenêtres ouvertes permettaient à l’air de circuler librement. Par un côté de l’appartement sortit, en portant la main à son turban rouge, le jardinier malabar, qui venait de déposer sur le guéridon un vase de Chine rempli de belles fleurs ; par l’autre entrèrent deux-serviteurs, qui offrirent respectueusement à leur maître le café et le narguilé.

Boire à petites gorgées une tasse de fin moka et aspirer par larges bouffées la fumée du tabac de Perse au milieu d’un jardin planté des plus magnifiques arbres, en face de la vaste mer, c’est à coup sûr savourer l’une des plus complètes jouissances de l’épicurisme oriental. Le capitaine Mackinson le comprenait ainsi : tout entier à ses pensées, ayant conscience du bien-être dont il jouissait, il laissait ses regards errer vers les caps lointains ombragés de palmiers, au milieu desquels surgissaient çà et là les cimes des pagodes, comme chez nous on verrait la hutte d’un pâtre apparaître au milieu des fougères. Il dormait pour ainsi dire les yeux ouverts, quand le frôlement d’une tunique de soie l’arracha à sa rêverie. Une jeune fille, vêtue à la manière des femmes du pays, s’avança vers le capitaine Mackinson.

— Bonjour, Nella, dit le capitaine en lui tendant la main.

— Salut à vous, cher père, répondit la jeune fille, qui déposa un baiser sur le front du capitaine.

Celui-ci contempla silencieusement pendant quelques minutes la jeune filles qui s’était blottie en un coin du canapé. À demi couchée sur les coussins, Nella ressemblait à l’une de ces divinités hindoues, au visage sérieux, aux pieds desquelles les brahmanes placent chaque jour leur offrande de fleurs et de fruits.

— Eh bien ! Nella, dit le capitaine en faisant bouillonner l’eau dans le tube de son narguilé, qu’avons-nous ce matin ?… Que veut dire ce petit air boudeur ?