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Trop, émue pour répondre, Nella s’inclina sous le regard triomphant de sir Edgar. Sa frayeur ne tarda pas à se calmer ; mais elle se sentait profondément humiliée de voir que sir Edgar n’avait pu être témoin de l’acte courageux qu’elle venait d’accomplir. Elle avait risqué sa vie pour lui, et lui n’avait pas couru le moindre péril pour elle ; cependant il devait se croire le héros de la journée.

— Sir Edgar, lui dit-elle en faisant un effort sur elle-même, vous ne parlerez pas à mon père de ce qui vient de se passer…

— Soyez tranquille, miss Nella, repartit sir Edgar ; il ne me conviendrait pas de me vanter devant le capitaine Mackinson du petit service que j’ai été assez heureux pour rendre à sa fille.

— Je vous suis infiniment obligée, répondit Nella. Mon père doit être dans le fond de la baie, vers les grands arbres que vous apercevez là-bas.

— En un instant j’irai le rejoindre, dit sir Edgar ; mais vous, miss Nella, puis-je vous laisser seule dans cette campagne déserte ?

— Vous pouvez partir, répliqua Nella ; voici ma fidèle Gaôrie qui accourt vers moi… Tenez, ne la voyez-vous pas qui s’arrête à causer avec un petit pâtre ?… à ce soir, sir Edgar, et surtout pas un mot sur notre rencontre !

Sir Edgar, se retira dans la direction que Nella lui avait indiquée, et celle-ci marcha vers Gaôrie, qui accourait avec empressement.

— Ah ! ma petite Nella, dit la nourrice en serrant sa jeune maîtresse entre ses bras, tu veux donc me faire devenir folle aujourd’hui !… Mais qu’as-tu donc à me regarder ainsi sans répondre ?

— J’ai le cœur serré !… De ma vie je n’avais eu aussi grand’peur.

— Quelle imprudence aussi d’attirer à toi ce serpent ! Nella redressa la tête. — Qui t’a dit cela, Gaôrie ?

— Le petit pâtre, qui a tout vu… Il se tenait là tout près, étendu sur l’herbe, caché par l’ombre des arbres. Au coup de fusil, il a été effrayé et s’est mis à fuir. Je l’ai arrêté pour lui demander ce qui se passait, et il m’a dit que tu avais…

— Chut ! fit Nella ; retournons vers la barque, et qu’il ne soit jamais question de cela.

Miss Nella et Gaôrie étaient rentrées à bord du bholia plusieurs heures avant que le capitaine Mackinson et sir Edgar fussent revenus de. la chasse. À la tombée du jour, l’ancre fut levée, et pendant que le konsamah était occupé à faire servir le dîner, les deux grandes voiles de la barque se déployèrent au vent. La journée avait été bonne ; deux ou trois douzaines d’oiseaux aquatiques, canards, bécassines et pluviers, étendus sur le plancher de la cabine, attestaient l’adresse des chasseurs. Sir Edgar s’était éloigné du marais après avoir tiré quelques coups de fusil seulement ; la plus grande