Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y paraît, on la traite comme une petite déesse, autant au-dessus de ses frères et sœurs que le paysan irlandais qui est sorti de sa chaumière pour entrer dans un séminaire. À dix-huit ans, elle concourt pour le grade d’écolière de la reine ; si elle l’obtient, elle devient pensionnaire du collège, y est nourrie, logée, blanchie, et touche en outre, pour ses dépenses personnelles, une petite somme qui est mesurée sur les résultats des examens. Ce stage se prolonge pendant une, deux ou trois nouvelles années, au bout desquelles la jeune aspirante obtient l’un des onze certificats, dans un ordre croissant de mérites, qui lui confèrent le droit d’enseigner et l’attachent à une école avec la jouissance d’une maison et un traitement, qui est au minimum de 20 livres par an et peut s’élever jusqu’à 60 livres. C’est là, pour le gros de ces tribus, une terre promise ; beaucoup restent en chemin et ne la voient pas ; les plus favorisées n’y arrivent qu’au prix de sept années d’efforts et d’une contention d’esprit continuelle. Leur carrière en dépend ; qu’un seul jour la mémoire les trahisse, que dans ce travail du cerveau la santé s’altère au point de troubler la marche des études, qu’il y ait seulement une période de défaillance, et le fruit de ce stage pénible sera compromis ou détruit. L’échec dans ce cas est une véritable ruine ; non-seulement les parens en sont pour leurs sacrifices, mais la jeune fille est en face d’une vocation manquée et des écueils d’un déclassement. Si elle n’en sait pas assez pour être maîtresse, elle en sait trop pour redevenir ouvrière ; elle a malheureusement appris à rougir du métier des siens sans acquérir la faculté d’en prendre un meilleur. Elle est dès lors livrée à tous les embarras et à tous les pièges des situations équivoques.

Pour se former une idée des difficultés de la tâche, il faut avoir sous les yeux le programme des examens. Partout, il est vrai, les documens de ce genre renchérissent sur le luxe des matières ; on dirait qu’ils ont été faits plutôt pour prouver la science de ceux qui jugent que le mérite de celles ou de ceux qui sont jugés. Plus d’une fois, en parcourant les questions que l’on pose à nos bacheliers, je me suis demandé comment un si grand nombre d’entre eux parvient à y satisfaire autrement que par une certaine grâce d’état. On ne déroge pas en Angleterre à ce formidable appareil[1]. L’érudition des

  1. Voici, entre autres notions, ce que l’on demande à des jeunes filles de quatorze à dix-huit ans. Je n’indiquerai ici que les traits principaux dans l’ordre suivi par le programme :
    « Écriture sainte. — Quels événemens se rattachent aux endroits suivans : Hobah, Beerlahai-Roi, Mizpeh, Peniel, Séchem, Luz ? Dites clairement quelles leçons pratiques et quelles vérités spirituelles ressortent de l’un ne ces événemens. — Peignez le caractère de Jacob et transcrivez les bénédictions qu’il prononça sur Juda et sur Joseph… — Donnez un récit exact des circonstances de l’entrée de Notre-Seigneur à Jérusalem et de son crucifiement, et transcrivez au moins six versets de son dernier discours… — Donnez une exacte et complète analyse d’une ou plusieurs des parties suivantes des saintes Écritures, et transcrivez au moins six versets consécutifs d’une des épitres dans Lesquelles on les trouve : « Aux Galatiens, c. II, commençant par ces mots : Il y a quatorze ans, etc. » — Je m’arrête ici, quoique le questionnaire renferme des parties non moins curieuses sur le sacrifice, la résurrection et le jugement dernier, sur la justification et le péché originel, la personne du Christ et les bonnes œuvres.