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fait jeter bas pour motif de salubrité. Ici elles sont conservées comme en harmonie avec les abominations qu’elles recèlent. À peine de loin en loin, en temps de choléra par exemple, fait-on quelques exécutions ; hors de là, on ferme les yeux, pourvu que des blanchimens à la chaux sauvent les apparences. Quant aux habitans, ils sont assortis aux locaux et ont une physionomie particulière. Saint-Thomas est un refuge assuré pour les existences suspectes qu’on élimine des autres quartiers ; nulle part on ne voit une plus brillante collection de voleurs, de filous, d’escrocs, de diseurs de bonne aventure ; c’est le domaine des gentilshommes de la nuit ; ils y vivent côte à côte dans un échange de procédés mutuels et sans chercher à se pénétrer par des questions indiscrètes. On ne demande à personne ni d’où il vient ni où il va. Voilà une première originalité pour le quartier. La seconde tient au genre d’industrie qu’on y exerce. Les habitans de la paroisse de Saint-Thomas ne sont ni, des portefaix des entrepôts, comme ceux de Saint-George-de-l’Est, ni des tisserands comme ceux de Bethnal-Green, tous gens pauvres, mais rudement et sainement occupés ; leurs moyens d’existence sont en conformité avec leurs goûts vagabonds et se résument en général dans le colportage du costermonger, classe curieuse que M. Alphonse Esquiros a vivement dessinée dans ses émouvans tableaux de la vie anglaise.

Littéralement, le costermonger est un vendeur de pommes : en réalité, il débite un peu de tout, poisson, légumes, volailles, fruits ; c’est le marchand des rues. Le métier a des degrés qui sont marqués par le mode de transport : les mieux montés ont une charrette avec un bidet, quelquefois un âne ; c’est la fleur du genre ; plus bas se rangent ceux qui doivent se contenter d’un haquet, d’un chariot à bras, d’un éventaire ou d’un panier. Les uns ne spéculent que sur un article, les autres s’accommodent de tout, brocantent indistinctement et promènent dans Londres les plus singuliers assortimens. Tous vivent sur la place publique, qui souvent leur sert de dortoir ; ils y acquièrent la finesse du sauvage, le secret des petites ruses et l’art de déjouer l’œil de la police dans l’exécution de leurs méfaits. Au fond, les profits ne leur manquent pas : illicites ou licites, ces profits suffiraient largement à leurs besoins ; mais ils ont des passions et des vices qui les vouent à une misère constante. L’argent gagné dans la journée s’en va le soir dans les cabarets, et plus d’un, dans l’impuissance de regagner son gîte, reste la nuit sur le pavé, ivre d’eau de genièvre. Le lendemain pourtant ils sont tous de nouveau sur pied, empruntent quelques shillings quand leur bourse est vide, et s’ingénient si bien qu’ils parviennent à liquider leurs dettes sans rien retrancher sur leurs excès. Cette existence vagabonde n’est pas le fait des hommes seuls ; les femmes, les enfans