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leur point de départ. Il y aurait bien des leçons morales à y puiser. Malheureusement nous ne possédons pour un tel travail que des matériaux bien incomplets, bien insuffisans. Des mémoires personnels, ou mieux encore des correspondances écrites sous le coup des événemens, auraient pu fournir de précieuses lumières ; mais dans ces temps d’action violente et précipitée on n’écrivait guère, et les correspondances ne pouvaient avoir cette franchise, ce développement où se peignent, mieux que partout ailleurs, les sentimens et les dispositions des hommes, alors même qu’ils s’efforcent de les déguiser. Quant aux mémoires, la plupart des personnages révolutionnaires, victimes eux-mêmes de la terreur qu’ils avaient créée ou de la réaction qui l’a suivie, n’eurent pas le temps d’en écrire, et si quelques-uns des survivans l’ont essayé longtemps après, on pense bien que, livrés tout entiers au désir de s’excuse, de se réhabiliter en dénaturant les faits, ils ont peu ménagé la vérité. Eussent-ils voulu la dire tout entière, en eussent-ils eu le courage, leurs passions, refroidies par l’âge, la chute de leurs illusions, le découragement où ils étaient tombés, ne leur eussent pas permis de reproduire les sentimens et les idées qu’avait éveillés en eux la crise révolutionnaire. Les passions, quelle que soit leur nature, lorsqu’elles arrivent à un certain degré d’exaltation, mettent l’âme dans une situation forcée, extraordinaire, qu’elle n’a plus la possibilité de se représenter à elle-même lorsque cette ivresse est dissipée. Parmi les mémoires de cette espèce, je ne connais que ceux de Levasseur (de la Sarthe) où l’on puisse trouver d’utiles enseignemens. Écrits avec une complète sincérité et avec la plus grande simplicité, près de quarante ans après l’événement, par un homme qui avait pris une assez large part aux mesures sanglantes de la terreur, qui, sans jactance, avec tristesse même, mais sans l’apparence du regret, déclare que ses amis politiques et lui se sont livrés, pour sauver la patrie, aux malédictions de la postérité, qui se félicite d’avoir fait monter Houchard sur l’échafaud et ne se reproche un peu la mort des girondins que parce qu’il a découvert depuis que ce n’étaient pas des royalistes déguisés, qui ne se repent sérieusement que d’une seule chose, d’avoir contribué à la chute de Robespierre, — ces mémoires montrent quelle est, sur les esprits étroits, la puissance du fanatisme, et je ne connais rien de plus effrayant que l’état de cette âme, que la sombre sérénité qui y régnait encore après une longue retraite, après des épreuves de toute sorte, à la veille de la mort.

Une publication récente me paraît propre à inspirer aussi de tristes réflexions et à jeter quelque jour sur la question que je posais tout à l’heure ; je veux parler du livre quia paru il y a un peu plus d’un