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s’immiscer même dans la rédaction de ses actes d’accusation et de les faire apporter chez lui à cet effet, comme aussi de provoquer la sévérité du jury contre certains accusés en particulier. Suivant lui, aujourd’hui même il n’est pas un parquet qui contestât l’existence de ces différens droits, s’ils étaient réclamés soit par le ministre de la justice, soit par le président du conseil des ministres, et il demande comment on aurait pu ne pas les reconnaître à un représentant du peuple revêtu de pouvoirs illimités…

Une fois engagé dans cette voie de justification absolue, le biographe de Joseph Le Bon ne s’arrête plus. Un des faits les plus graves allégués contre ce dernier, un de ceux qui ont paru le mieux attester sa tyrannie, c’est la destitution, l’arrestation et l’envoi à Paris devant le comité de sûreté générale du président du tribunal criminel d’Arras, de l’accusateur public et d’un membre du comité de surveillance, qui était aussi juge au tribunal révolutionnaire. Suivant M. Emile Le Bon, cette mesure était juste, indispensable, parce que ces fonctionnaires demandaient la suppression du tribunal révolutionnaire, désapprouvaient ses arrêts et étendaient cette désapprobation jusqu’à Joseph Le Bon lui-même, dont ils accusaient le rigorisme outré, implacable, et le patriotisme soupçonneux.

Ce dernier avait, contre les trois magistrats qu’il traduisait devant le terrible comité, un autre grief que son défenseur essaie en vain de dissimuler. Au nombre des individus jugés par le tribunal révolutionnaire d’Arras se trouvaient vingt-quatre personnes que Joseph Le Bon avait mises en arrestation, parce que leurs noms étaient inscrits sur le registre d’une souscription destinée à fournir des secours à des prêtres fanatiques (c’est ainsi qu’on appelait ceux qui ne s’étaient pas soumis au serment civique). On comptait parmi ces souscripteurs plusieurs vieilles femmes ; Le jury ayant par hasard acquitté quatre de ces malheureux, en sorte que vingt seulement montèrent sur l’échafaud, Le Bon se livra à de violens emportemens de colère, à d’effrayantes menaces contre ceux des membres du tribunal qui avaient le plus contribué à cet acquittement partiel, et ce ne fut pas une des moindres causes qui le poussèrent à faire arrêter quelques-uns d’entre eux. Croirait-on que, par une suite de sophismes subtils, qu’il serait trop long d’exposer et de réfuter en détail, M. Emile Le Bon en arrive à conclure qu’une action pareille fait admirablement ressortir la probité, la droiture, le patriotisme de Joseph Le Bon ?

Le jugement du comte de Béthune a laissé dans l’Artois un long souvenir. Par sa naissance, par sa grande fortune, aussi par ses qualités personnelles, M. de Béthune jouissait, dans ce pays, d’une très grande considération ; mais par cela même il se trouvait plus