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Turenne trouva l’art et les règles ; il tint académie du grand jeu de la mort.

Tout cela n’était rien en comparaison de ce qui se vit à mesure que le jeu, la loterie, l’amour de la spéculation, atteignirent des peuples entiers. Dans la longueur des guerres, tous les rois, forcés d’emprunter, devinrent des tentateurs qui, par des primes et des usures énormes, forcèrent l’argent timide à devenir hardi, à s’associer aux grands hasards. L’épargne, accumulée par la sobriété ou l’avarice, sortit, s’aventura, se jeta aux coures publics. Les aventures cruelles de banqueroutes, de réductions, effrayaient un moment ; l’attrait des gros gains ramenait. Une maladie secrète, propre à nos temps modernes, titillait, stimulait, démangeait en dessous, — le prurit des loteries, la douceur du gain sans travail.

L’incertitude même, le plaisir du péril était pour plusieurs un vertige qui, loin d’arrêter, entraînait. Nombre de sots glorieux trouvaient beau de prêter au roi, de l’aider aux hautes affaires, de. guerroyer du fond de leurs greniers, de régenter et d’insulter l’Europe. Cela commence en France un peu après Colbert. Le rentier apparaît partout. À la Place-Royale, aux Tuileries, des bataillons de nouvellistes, petits bourgeois mal mis, de tenue légère en décembre, n’en étaient pas moins fiers et cruels aux combats de langue, terribles au roi Guillaume, à la Hollande, informés de l’Europe Jusqu’au fond du Nord même, et suivant de l’œil Charles XII.

Les cafés, nés de la cabale (1669) s’ouvraient partout en Angleterre, et à côté la tabagie turque, hollandaise. Le gin fut trouvé en 1684, et bientôt sans doute le rhum, si cher à Robinson. On chercha une ivresse moins épaisse que celle de bière, moins bavarde que celle de vin. On préféra la forte absorption de l’eau-de-vie. Cependant on fumait, on rêvait de report et de dividende : sombre béatitude, où le spéculateur, au gré de la fumée, voyait monter ses actions. — Tous ces muets, tous ces sauvages, au fond insociables, s’associaient pour les intérêts. Deux terrains se créèrent, où, sans se connaître, on put se rencontrer dans des combinaisons communes : premier terrain, la dette, qui commence en 1692 et fait bientôt un milliard ; second terrain, la banque (simplement de change et d’escompte), mais qui soutient l’état, lui prête de grosses sommes sans intérêt.

On sait quelle large exploitation firent les patriotes sous la reine Anne de ces deux terrains financiers, le jeu immense sur la guerre, la hausse et la baisse, la vie, la mort. La vente des consciences au parlement et la vente du sang (obstinément versé, parce qu’il se transmutait en or), c’est le grand négoce du temps. Jeu permis et autorisé ! Les plus austères, les hommes à cheveux plats, à noirs