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tait plus rien de l’alliance ambitieuse formée dans la pensée d’une action collective ; elle a retenu pendant six mois dans l’immobilité, à Orizaba, six mille Français placés entre la fièvre jaune, qui sévissait à la Vera-Cruz, et l’impossibilité d’une marche en avant, tandis que six mille Espagnols se retiraient définitivement sans trop de gloire, après avoir voulu arriver les premiers avec toutes les fanfares de guerre. Elle a remué l’Amérique enfin sans avoir eu jusqu’à ce jour un résultat précis, pour ne montrer dès le premier instant que la confusion des conseils de l’Europe, — et, à parler franchement, tout compte fait à part soi, sans être entendu de personne, s’il y avait encore une résolution à prendre, irait-on au Mexique ? On n’irait pas du moins, je pense, dans les conditions où l’on s’y est engagé ; on s’expliquerait un peu plus nettement sans doute entre alliés sur ce qu’on veut faire et sur ce qu’on ne veut pas faire ; on ne livrerait pas surtout à des décisions improvisées et irrévocables le sort d’une affaire d’où peut dépendre le crédit de l’Europe dans le Nouveau-Monde. C’est le moment des confessions, puisque c’est l’heure de l’ouverture des parlemens. La France, si elle avait à prendre un parti, hésiterait vraisemblablement à se charger seule d’aller porter l’ordre au Mexique. Et le gouvernement espagnol, après les débats qui viennent d’agiter le parlement de Madrid, après le discours en trois journées de l’ancien plénipotentiaire de la reine Isabelle, le gouvernement espagnol, réduit aujourd’hui à sanctionner des faits consommés et à se frayer un chemin à travers les contradictions, est-ii au fond toujours d’avis que le général Prim était l’homme le mieux fait pour aller résoudre au nom de l’Espagne la question du Mexique ?

Le malheur de telles entreprises, c’est que s’il est aisé de n’y point entrer, il est difficile d’en sortir une fois qu’on s’y est engagé trop avant, et il y a même parfois pour une puissance quelque chose de plus grave que l’embarras passager où elle peut se trouver entraînée : c’est la manière de sortir de cet embarras, témoin la situation respective faite à la France et à l’Espagne par des politiques qui ont paru être identiques à l’origine, et qui n’en sont venues bientôt à se séparer presque violemment que pour créer un malaise, des complications d’un autre genre, je ne dis pas seulement dans les relations des deux gouvernemens, mais encore au sein de la Péninsule elle-même, dans la conscience du pays. À n’observer qu’un fait extérieur et matériel, la France est toujours au Mexique, l’Espagne n’y a plus un soldat ; c’est la France qui a seule tout l’embarras d’une entreprise commencée à trois, elle en a pris la responsabilité et les charges, qui peuvent lui paraître d’autant plus lourdes que les compensations ne se laissent pas entrevoir bien distinctement. Que sortira-t-il de cette guerre ? Voilà la question, et c’est ce qui fait que l’expédition du Mexique, acceptée sans doute comme une nécessité rigoureuse, dérivant de circonstances imprévues, et qui coûte cher, n’a vraiment rien de populaire en France. L’Espagne, quant à elle, est hors d’affaire, il faut le reconnaître ; elle s’est retirée à temps pour ne perdre que quelques millions et quelques centaines d’hommes inutilement. Elle a la libre et tranquille disposition de ses forces et de sa politique, ses finances ne sont point engagées ; en un mot, elle est affranchie de tous les embarras d’une expédition trop lointaine et trop énigmatique pour n’être pas compromettante.