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à revenir sans perte de temps à Saint-Louis, en luttant avec le plus d’énergie possible contre les obstacles que pourrait rencontrer notre navigation. Ces obstacles, à cette époque de l’année, alors que la crue des eaux s’était à peine prononcée, consistaient surtout dans la difficulté des passages de Mafou, Sarpoli et Djuldè-Diabè. La longueur relativement très grande de l’Etoile l’inexpérience des capitaines de rivière, qui jamais n’avaient eu à manœuvrer un navire de 52 mètres de long, ajoutaient encore à ces difficultés.

De toutes les classes de la population sénégalaise qui se sont ralliées à notre colonie, celle des laptots ou matelots du fleuve est à tous égards la plus intéressante. Dévouement à toute épreuve, fidélité inébranlable, patience que rien n’abat, courage qui leur fait affronter la mort sur les champs de bataille, comme les dangers du désert et les périls du fleuve, où, sur un signe, ils plongent malgré la violence des courans et les caïmans qui le sillonnent, telles sont les qualités de cette classe d’élite. Les capitaines de rivière sont les premiers des laptots, et les premiers parce qu’ils ont au plus haut point ces qualités si remarquables. Ceux qui montaient l’Etoile, et qui nous venaient de l’Anacréon, qu’elle remplaçait dans le fleuve, étaient encore distingués parmi leurs collègues. L’un, Youssouf, Toucouleur énergique, sans cesse en mouvement, toujours le premier au travail et au feu, était un des héros de Médine, et devait plus tard se faire blesser en Cazamance, en soutenant avec une poignée d’hommes l’assaut d’une centaine de guerriers. L’autre, Co-Caï, Bambara du Kaarta, appartenant à la famille du roi de Ségou, athlète infatigable, caractère trempé au feu du dévouement et tout empreint de cette bonté si touchante quand elle s’allie à la force, devait servir de guide au lieutenant Lambert dans son voyage au Fouta-Dialon et le sauver par ses soins. Enfin Ry-Fall, jeune Ouolof de Guetn’dar, instruit comme un taleb arabe, admirateur enthousiaste de Paris et de la France, qu’il avait visités à trois reprises différentes, avait mérité la médaille militaire en se jetant au-devant du gouverneur, qu’un Maure menaçait de son fusil, et se trouvait à peine rétabli de ses blessures. Tels étaient les capitaines de rivière de l’Etoile ; mais ni le dévouement, ni la patience, ni le courage ne peuvent en marine remplacer la science et surtout l’expérience : l’Etoile devait en fournir de nouvelles preuves. De Saint-Louis à Mafou, tantôt sur des hauts-fonds, tantôt sur la berge même du fleuve, aux coudes les plus prononcés, nous pûmes compter plus de dix échouages. Partis le 16, nous n’arrivions à Mafou que le 20. Quatre jours pour franchir soixante lieues, avec une vitesse moyenne de neuf milles à l’heure, n’était-ce pas, quoique deux tornades violentes nous eussent forcés à mouiller, avoir dépensé en échouages les cinq sixièmes du temps de la traversée ? Au début de