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jamais les impressions de mes courses à travers les vastes solitudes des prairies sénégalaises. J’ai, le fusil sur l’épaule, parcouru les contrées les plus diverses. Les splendides forêts de Bornéo et de Basilan avec leur végétation luxuriante, où trois étages d’arbres superposés forment un abri que le soleil ne pénètre point, les jungles de l’Inde et du Gabon, les steppes de la Tartarie, les montagnes à la sombre verdure de la Mandchourie, si étonnantes en juin après la fonte des neiges, les âpres collines de la Corée, dont la mer ronge les assises de granit, ont jeté à mon esprit des impressions bien diverses et bien profondes ; mais aujourd’hui encore ces impressions me semblent avoir été moins puissantes que celles que je ressentais dans mes courses africaines. Peut-être cela tient-il moins à la nature du pays en elle-même qu’aux idées qui me préoccupaient alors comme beaucoup de mes compagnons. Rejoindre Alger en passant par Tombouctou, explorer toute cette partie du Niger que nul n’a visitée encore et qui en comprend tout le cours supérieur, ajouter un nom de plus à ceux de tant de hardis pionniers de la civilisation, se préparer à cette expédition par une vie d’épreuves, de fatigues au grand air, au grand soleil : telles étaient nos idées. Quelques-uns d’entre nous ont essayé de les réaliser, d’autres s’y préparent dans l’ombre, d’autres, hélas ! ont déjà trouvé la mort en les mettant à exécution, et une mort douloureuse, au moment où un peu de célébrité se faisait autour de leur nom !

Si nos premières courses furent heureuses au point de vue de la chasse, cela est peu intéressant à noter ; mais, plein des idées que je viens d’exprimer, elles remplissaient nos longues heures de loisir. Leck-éleuk tel-nanu dem rubi (demain, au point du jour, nous allons chasser), cette phrase, que j’avais apprise la première en étudiant le ouolof, était devenue la consigne que chaque soir je donnais à mes guides, lorsque M. Lescazes, le capitaine de l’Africain, me proposa une expédition bien plus intéressante à tous égards que toutes mes courses de chasse.

À quelques heures de notre mouillage, une tribu maure était campée, se disposant à fuir l’inondation, lorsque la présence de nos deux navires et du convoi qu’ils escortaient, en offrant aux indigènes un excellent marché pour leurs bœufs, leurs moutons et leur lait, vint retarder de quelques jours leur départ vers le haut pays. Des relations très fréquentes et tout amicales s’étaient établies entre eux et nos laptots. Aller visiter leur camp dans ces circonstances, et alors que leurs dispositions de marche étaient faites, nous parut une occasion à ne point laisser échapper. Une visite au camp de la tribu fut donc décidée entre nous ; seulement, les Maures ne jouissant que d’une réputation fort médiocre de respect pour les traités, nous décidâmes que la moitié de nos matelots nous accompagnerait en