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Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal ; mais si l’on réfléchit à la constitution des sociétés si étranges au milieu desquelles vit notre colonie africaine, on comprendra que les convictions les plus fermes, servies par l’énergie la plus persévérante, ont dû se briser dans le présent contre cette odieuse institution, base de toutes ces sociétés. Les habitans de Saint-Louis sont libres, la loi française a pu être appliquée dans la capitale de nos établissemens ; mais qu’elle soit proclamée dans le Djiolof, dans le Fouta, dans le Cayor, et nous faisons devant nous le désert, et ces pays, auxquels les bras manquent déjà, sont abandonnés par leurs habitans.

Pourquoi raconter alors cet épisode de notre campagne ? C’est qu’il nous semble qu’il en ressort une des justifications les plus complètes de la persévérance que le gouvernement de la France a mise à développer notre influence dans cette partie de l’Afrique. Quand cette influence sera souveraine dans tous ces pays comme elle l’est à Saint-Louis, à Gorée, l’esclavage y sera-t-il possible ? Croit-on d’ailleurs que la tâche émancipatrice de l’Europe sera finie lorsque les colonies à esclaves, les états du sud de l’Amérique, auront répudié cet odieux héritage du passé ? Certes non. La solidarité de toutes les races humaines n’est pas un vain mot. Ces riches et fertiles contrées que baigne le Sénégal ne sont stériles aujourd’hui que parce que le travail libre ne les féconde pas et n’utilise point les dons merveilleux que la nature leur a faits. Le jour où, sur les deux rives du fleuve, l’esclavage sera aboli par la force des convictions, conséquence peut-être rapprochée de l’expansion de nos idées, les arachides, le sésame, le beraft (graine oléagineuse du Cayor), l’indigo et surtout le coton abonderont sur nos marchés. Quoi qu’aient pu dire les possesseurs d’esclaves et leurs commandeurs, les nègres aiment le travail, quand on leur en fait comprendre l’utilité, surtout quand ils travaillent pour eux-mêmes et non pour des maîtres égoïstes. On pourrait plus justement leur reprocher leur imprévoyance, leur insouciance de l’avenir ; mais ce sont là les défauts des peuples enfans et aussi des peuples opprimés, et les progrès de la civilisation y remédieront. D’ailleurs ces progrès sont réels, surtout dans cette voie. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les traités signés successivement par M. Faidherbe. Le 1er février 1861, le damel du Cayor s’engageait solennellement à ne plus vendre un seul de ses sujets libres, à ne plus faire esclaves les étrangers qui traversent son territoire, à ne plus laisser piller un seul village par ces bandits grands seigneurs qu’on appelle les tiedos. La seule mention de ces clauses, rapprochées du silence que gardent les traités conclus dans les années antérieures, montre le progrès accompli.

Cependant les eaux du fleuve montaient régulièrement, et après