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tolets et un large coutelas garnissaient sa ceinture. En apercevant les uniformes des officiers piémontais, il ne put retenir un geste de défiance. — Approche sans crainte, ami Beppo, lui dit en riant M. Feralli, ce ne sont pas des carabiniers. — Beppo, repoussant alors du pied deux chiens au poil hérissé qui marchaient sur ses talons, vint tendre la main à M. Feralli.

— Messieurs, reprit notre hôte, permettez-moi de vous présenter mon ami Stanislao Bepponi, dit Beppo, le célèbre bandit de Minutades, le maître de Goceano et de Monte-Minerva, dont vous avez sans doute entendu parler.

Beppo salua modestement, puis il s’assit sur l’invitation de M. Feralli et but à notre santé. — Pardonnez-moi, patron Feralli, dit-il alors, si je viens un peu tard; mais je ne suis arrivé de Valverde que depuis une heure.

— De Valverde!,.. Et que diable vas-tu faire à Valverde, malheureux! Tu veux donc te faire prendre?

— Vous n’êtes pas sans savoir, reprit gravement le bandit, qu’il est arrivé tout récemment à Alghero un nouveau procureur-fiscal. Il paraît que c’est un homme qui aime son métier et qui donnera de la besogne aux carabiniers royaux. On est venu me dire qu’il m’avait recommandé particulièrement, et m’avait même fait l’honneur de coter ma peau cent écus. Passe pour ma peau! quand elle sera trouée, ce qu’elle se vendra m’est bien égal; mais voilà que le fiscal a trouvé plaisant d’offrir cinquante écus de plus, si on la lui apportait toute neuve, c’est-à-dire si on pouvait me prendre vivant. Cent cinquante écus! c’est une grosse somme, et qui peut tenter bien des malheureux. Donc il pourrait arriver que je fusse surpris; on me mènerait ou on me porterait à la prison d’Alghero... Cela ne peut pas être. Beppo, me suis-je dit, si tu avais deux cents écus sonnans déposés chez un notaire, tu te moquerais du fiscal et de ses cent cinquante écus. Supposons que tu tombes dans un piège d’où ne puisse te tirer ni le fusil, ni le poignard : tu fais une traite sur ton notaire, et celui qui voudra gagner deux cents écus au lieu de cent cinquante te lâchera... Le tout, c’est d’avoir les deux cents écus. Vous, patron Feralli, vous les donneriez peut-être dans un moment pressant. Gambini aussi les donnerait. Tout bien réfléchi, j’ai préféré cependant les emprunter au fiscal.

On ne devinerait guère comment s’était fait l’emprunt de Beppo. Le fiscal devait aller le matin même en pèlerinage à la chapelle de la Madonna del Valverde, dont l’image attire de nombreux dévots. Beppo était allé de son côté surprendre le pauvre procureur au moment où il déjeunait, sans aucune escorte, chez le curé de Valverde. Il avait présenté sa requête en homme qui n’est pas habitué aux re-