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flets de topaze et de rubis, circulèrent. Des groupes joyeux se formèrent; ce n’étaient que rires, souhaits, embrassemens échangés... Mais pourquoi donc Efisa Gambini et son cousin Gian-Gianu manquaient-ils à la fête? C’est moi-même qui hasardai tout haut cette observation, et je remarquai aussitôt sur la physionomie des invités une expression d’inquiétude. Feralli me prit à part : « Votre question, me dit-il, a jeté l’alarme parmi ceux qui l’ont entendue. L’absence d’un des garçons ou d’une des demoiselles d’honneur à une noce est regardée comme de mauvais augure en Sardaigne. La signification fâcheuse de ce pronostic s’accroît encore si une question imprudente rappelle aux assistans un fait qu’ils voudraient ignorer. Les gens superstitieux n’ont d’autre ressource alors que de cracher aux pieds de l’indiscret questionneur... Sercomin aussi n’est pas venu, » reprit tout bas l’armateur d’un air assez soucieux. En ce moment, la collation était terminée, et on allait procéder à l’enlèvement du mobilier des époux : c’est le second acte du drame nuptial. Les meubles étaient disposés dans les chambres voisines, et chacun pouvait les admirer à l’aise en attendant qu’ils fussent portés sur les chars stationnant déjà dans la vaste cour. Les joueurs de lionedde[1] préludaient à leurs airs rustiques par de joyeuses volées de notes; ils allaient marcher en tête du cortège, marquant la mesure par des mouvemens de tête. Des chœurs de jeunes filles en voiles blancs et avec des ceintures rouges, de jeunes garçons en veste écarlate, chacun portant sur la tête dans un panier quelques menus objets de ménage, devaient les suivre. La troisième place était réservée à la cavalcade des époux, des parens et des garçons d’honneur. Viennent enfin les chars où l’on entasse le mobilier des futurs époux, avec la provision de grain pour l’année. Le dernier de ces chars porte deux objets précieux, symboles du travail domestique en Sardaigne, le métier à tisser et la meule à grain. L’âne meunier (asino molatore), gros à peine comme un chien et orné de rubans que remplacera le lendemain le rude harnais, suit tout pimpant ce jour-là l’instrument de travail. Quelques traîneaux (tracchi) réservés aux serviteurs ferment le cortège.

Tel fut l’ordre suivi dans la procession nuptiale, où je figurai comme garçon d’honneur, et qui se rendit de la maison Paolesu à l’habitation des Sanarès. Là on s’arrêta. Les femmes procédèrent au déchargement et à l’installation des meubles, tandis que les hommes exécutaient aux sons de la lionedde une danse nationale.

  1. Instrument dont la forme antique s’est maintenue sans altération; il se compose de trois tubes en roseau percés de trous, que le musicien embouche tous trois ensemble. Ses joues font l’office du soufflet de la cornemuse. Le plus court des trois tubes fait le soprano, le moyen le ténor, et le plus long la basse.