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baient à leur tour. En ce moment, nos hommes débouchèrent du bois. Avant même leur arrivée sur le terrain, les domestiques des Paolesu étaient remontés précipitamment sur leurs chevaux et s’enfuyaient à toute bride. Nous nous laissâmes glisser lestement en bas du toit.

« — L’œuvre est accomplie, dit Gambini. Ainsi, Beppo, retourne promptement à Minutades, et par un autre chemin que celui de Monteleone. Aujourd’hui tu pourrais y faire quelque mauvaise rencontre. Adieu et merci, mon vieux camarade.

« Beppo ne se le fit pas dire deux fois; il enfourcha un des chevaux et s’engagea dans le chemin creux qui le conduisit bientôt en pleine forêt.

« Je restai seul avec Gambini, qui avait aussi congédié nos quatre hommes. Il visita successivement les cinq corps étendus autour de nous et s’assura froidement que toutes les blessures étaient mortelles; puis il revint vers moi. — Maintenant, me dit-il, Gian-Gianu, rentre à Ossano. Les domestiques en fuite ne t’ont point vu, et aucun de nos paysans ne te dénoncera. Tu ne seras point inquiété. D’ailleurs tu trouveras sur ma table une lettre adressée au procureur-fiscal d’Alghero. S’il en est besoin, tu produiras cette lettre. J’y raconte tout, les motifs de la jalousie des Paolesu et les circonstances du meurtre de Sercomin, J’y annonce ma vengeance, et je déclare expressément que seuls moi et Beppo nous en avons combiné et exécuté le plan, à ton insu, et sans que tu y aies participé. Nous sommes convenus de cela avec Beppo, qui ne risque rien, lui, dans sa montagne, et qui, s’il tombait entre les mains de la justice, ne serait ni plus ni moins pendu pour un meurtre de plus ou de moins.

« Je voulus faire une objection; Gambini me coupa la parole. — Gian, tant que je suis vivant, j’ai sur toi la délégation de l’autorité paternelle... Ce ne sont point des prières que je te fais, des intentions seulement que je t’exprime, ce sont des ordres que je te donne. Avec la lettre adressée au procureur-fiscal, il y en a une pour toi. Tu suivras ponctuellement les instructions qui te sont données. Maintenant embrasse-moi, mon fils, ajouta-t-il avec émotion, et laisse-moi seul.

« — Seul! Et pourquoi faire? demandai-je, poussé malgré moi par une secrète appréhension à lui désobéir.

« — Regarde, me dit-il en étendant la main. Est-il donc accompli le serment que j’ai fait à Efisa, et que j’ai renouvelé publiquement chez Sanarès? Ne reste-t-il pas encore un de ceux qui ont tué Sercomin ?

«Et comme je le regardais avec stupeur : — Va-t’en, Gian,