Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/636

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de voix inconnues, par des jaillissemens de sources cachées, par les vibrations des mille cordes et l’éclosion des mille germes que la volonté comprimait, et qu’en se relâchant elle a rendus à la liberté. La laborieuse chenille achève sa journée; le cocon se brise, elle en sort papillon... Oui, car c’est bien une vraie jeunesse, un second âge d’abandon et de naturel, où l’on rentre enfin en possession de soi-même, où l’on se montre soi-même à nu.

Tous seulement sont loin d’avoir le bonheur de M. Michelet, celui de se retrouver tout débordans de vie. Qu’un homme qui a traversé un écrasant travail de trente ans ait gardé tant de fraîcheur, d’élan, de force d’expansion dans tous les sens; qu’un esprit chargé d’une telle masse d’érudition, de souvenirs, de faits étrangers à lui, ait si bien conservé son ressort, sa puissance de pensée originale et d’émotion personnelle; que pendant le relâche forcé d’une maladie, et en quelque sorte pour se délasser, il ait été si curieux d’études nouvelles, si fécond pour enfanter de nouvelles pensées sur des sujets en dehors de sa longue tâche, — sur la femme, l’oiseau, l’insecte, que sais-je? — cela est tout à fait insolite, cela le marque au coin des organisations vraiment originales.

Il n’y a pas moins là un sérieux danger. Si l’imagination avec l’âge peut devenir plus éclatante et même plus fougueuse, l’innocence ne revient pas. Chez l’homme qui a derrière lui un long passé, l’entraînement ne peut plus guère avoir la franchise de l’enfance, la grâce et la joie d’une âme qui s’ignore, et qui par chaque sentiment qu’elle éprouve se révèle à elle-même. On sait trop; il est à craindre que le laisser-aller ne soit pas complètement spontané, que l’impression commencée ne prenne pas le temps de s’achever. Au début, c’est bien le cœur qui a battu, c’est bien une corde sonore qui a frémi en nous; mais ce frémissement nous rappelle quelque ancienne vibration rendue par la même corde, et l’émotion du moment ne sert qu’à nous jeter dans une redite, qu’à nous faire entonner de nouveau la chanson trouvée depuis longtemps par une vieille inspiration. De là je ne sais quoi de mécanique, et qui sent l’habitude. J’en pourrais citer en Angleterre un exemple bien remarquable, celui d’un homme qui, à force de se laisser aller et d’accepter à l’avance tout ce qui peut lui venir, est arrivé à ne plus tirer de son esprit, de l’esprit le plus original, que des formes mortes de pensées jadis vivantes, que des mouvemens immobilisés, des attitudes pétrifiées, des simulacres factices de ses convictions les plus sincères. De toute manière, la grande tentation, c’est l’excès, et l’excès en connaissance de cause. Chez les jeunes tribus sauvages, on le sait, les royautés improvisées par la force d’un individu n’exercent jamais un despotisme aussi inflexible et aussi incessant que celui des royautés consolidées par des siècles de domination, de traditions et