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en un siècle on tombe du sage moine saint Benoît au pédantesque Benoît d’Aniane, on sent bien que ces gens-là furent parfaitement innocens de la grande création populaire qui fleurit sur les ruines : je parle des vies des saints. Les moines les écrivirent, mais le peuple les faisait. Cette jeune végétation peut jeter des feuilles et des fleurs par les lézardes de la vieille masure romaine convertie en monastère, mais elle n’en vient pas à coup sûr. Elle a sa racine profonde dans le sol; le peuple l’y sème et la famille l’y cultive, et tous y mettent la main, les hommes, les femmes et les enfans. »

C’est ce mouvement de vie indépendante, ce courant d’activité qui est déjà une protestation, mais sans le savoir, sans le vouloir, que M. Michelet s’applique à suivre, à deviner plutôt à travers les débris du passé, qui ne sont comme toujours que des débris de monumens élevés en l’honneur des grands du jour, des princes de la terre. L’oreille collée à terre, il l’écoute amoureusement comme une eau souterraine : il se réjouit de le voir éclater par un nouveau jet dans les contes de fées, dans ces autres légendes qui, en se vulgarisant, sont devenues nos contes d’enfant, et sur lesquelles il écrit des pages charmantes, pleines d’intuitions délicieuses, des pages que nous voudrions voir dans la mémoire et le cœur de tous, pour que le père comme la mère apprissent à respecter ces vieux récits qui « planent bien plus haut que toute histoire, sur l’aile de l’oiseau bleu, dans une éternelle poésie, disant nos vœux toujours les mêmes, l’immuable histoire du cœur. » Pour l’historien d’ailleurs, « les contes de fées, dégagés des ornemens ridicules dont les derniers rédacteurs les ont affublés, sont le cœur du peuple même. Ils marquent une époque poétique entre le communisme grossier de la villa primitive et la licence du temps où une bourgeoisie naissante fit nos cyniques fabliaux. »

A côté de ces légendes, où se trahissent les douleurs et les aspirations du pauvre serf, son désir de trouver un trésor, son amour sans espoir pour la belle dame qu’il a entrevue, sa terreur pour le châtelain à la barbe bleue, la vie intérieure et cachée se fait encore jour de mille manières. L’église carlovingienne a dit : « Plus de légendes, plus de nouveaux saints! Défense d’inventer, de créer! » L’imagination, chassée de la religion, se rejettera donc vers les souvenirs que le peuple, — la femme surtout, — a conservés des anciens dieux. Cette tradition païenne, pour parler comme M. Michelet, c’est la protestation du serf contre l’ennui du moyen âge, qui n’a que son éternelle cloche et qui parle latin dans ses églises. « C’est l’hérésie antique condamnée par l’église, l’innocence de la nature, » et c’est d’ailleurs le secret de la femme, ce que lui racontait sa mère, et ce que la mère avait entendu conter à l’aïeule. La pauvre serve est enfin sortie de la villa gallo-romaine, de cette es-