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pour interpréter le christianisme à son gré et à son profit? En tout cas, sans oublier certains textes difficiles, je ne puis pas m’empêcher de me rappeler l’esprit général de l’Évangile, qui est précisément dirigé contre la vieille idée des choses pures et impures, qui est une prédication constante pour annoncer que la sainteté n’est pas dans les œuvres, dans l’abstention de certains mets, dans l’usage de certaines choses, mais bien dans la droiture de la volonté, et que le saint est libre de toute ordonnance pratique.

J’en dirai autant du principe odieux de la tyrannie sacerdotale. Est-il bien sûr que, pour une saine critique, le crime et la honte de l’inquisition retombent sur le christianisme? Je regarde, et ce que je vois dans le christianisme, c’est une doctrine qui repose sur le respect absolu de la volonté individuelle. Elle fait consister toute la religion dans la foi, dans la persuasion individuelle, dans le consentement de la volonté, ce qui revient assez clairement à proclamer, non pas seulement que la violence est défendue, mais qu’elle est impuissante, qu’elle ne sert à rien. Comment la tyrannie de l’inquisition et de la Saint-Barthélémy aurait là sa source, je ne le comprends pas. Je me demande plutôt si cette source ne serait pas dans l’esprit païen, dans l’esprit disciplinaire et législatif de la vieille Rome. La prédominance du jugement abstrait sur la conscience, le besoin de statuer au général et de décider d’un seul coup ce que chaque chose vaut en soi, la manie d’unité qui, comme l’a si bien dit M. Quinet, devait se traduire dans l’ancienne Rome par l’idée d’une seule loi et d’un seul empereur pour le monde, par l’idée d’un empire universel, voilà, à mes yeux, la très vieille folie qui, dans la Rome nouvelle, s’est traduite par l’idée d’un seul empereur spirituel, d’un seul empire catholique soumis à une seule loi, formulée par un seul homme, un pape. Cette folie-là, je l’ai appelée païenne. Elle est plus ancienne que toutes les mythologies. C’est un péché originel, c’est un aveuglement naturel et primordial. Le vrai coupable du moyen âge, celui qui enfanta l’idée d’organiser le règne absolu de la vérité en créant une autorité infaillible, et en enjoignant à tous d’accepter sous peine de mort ce qu’elle enjoindrait, veut-on en savoir le nom? C’est la nature humaine, c’est tout le monde, c’est nous aussi, hommes de ce temps, ou du moins c’est ce qui est en nous tous.

Il nous est très facile d’aimer la liberté pour nous-mêmes, très facile de nous indigner quand un autre prétend nous imposer, malgré notre conviction, sa vérité à lui ; mais la disposition à imposer aux autres ce qui nous semble à nous le vrai, la disposition à empêcher ou à invoquer le pouvoir pour qu’il empêche par la force ce qui nous paraît une dangereuse erreur, cela, toute chair qui naît l’apporte en naissant. Nous avons assez vu la même intolérance éclater chez nous dans un autre domaine que celui de la religion, et en