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raison mieux aimé employer ainsi leurs ressources que de les risquer dans la reprise de leurs travaux.

Cependant à ce point de vue leur situation n’est pas la même à tous. Le Lancashire filait diverses espèces de coton; la ville de Stockport par exemple employait beaucoup de cotons indiens et égyptiens, et les machines étant construites pour cette affectation spéciale, quelques-unes des filatures de Stockport ont pu reprendre le travail. La plus considérable par exemple, qui employait 1,200 ouvriers, est depuis quinze jours en pleine activité. Il ne faut cependant pas se faire d’illusions sur cette reprise; elle est très précaire, car elle est causée par des commandes qui peuvent cesser d’un jour à l’autre, et les manufacturiers ne sauraient songer en ce moment à devancer la demande. A Blackburn au contraire, on ne filait que des cotons américains, et là tout travail a cessé depuis plus d’un an. Aussi cette ville est-elle regardée comme le point le plus cruellement frappé de tout le district. Naturellement aussi les filateurs de Blackburn, que l’on citait jadis pour leur richesse et leur esprit d’entreprise, ont-ils plus souffert que ceux des autres districts. Ils ont dû, pendant bien des mois, soutenir presque entièrement, par leurs propres ressources, toute la population ouvrière qu’ils. employaient Il faut leur rendre cette justice qu’ils ont noblement accompli ce devoir. Après y avoir consacré tous les profits des années précédentes, ils ont usé leur crédit à remplir cette lourde tâche ; mais ils ont aujourd’hui épuisé toutes leurs ressources, et la ruine inévitable de plusieurs d’entre eux n’est retardée que par la crise elle-même qui, en dépréciant leurs propriétés, oblige leurs créanciers à différer leur exécution. Aussi ne peuvent-ils plus que se faire les intermédiaires des secours alloués à leurs ouvriers par les comités et la charité publique. Il n’en est pas de même à Manchester et dans la plus grande partie du district cotonnier, où la plupart des grands filateurs ont tenu à honneur de ne pas se décharger entièrement sur la charité publique du soin de leurs ouvriers. Quelques-uns même continuent aujourd’hui à secourir tous ceux qui étaient employés dans la manufacture au moment de la plus grande activité du travail. Quand quelques calculs pour l’avenir se mêleraient au sentiment du devoir parmi les mobiles d’une si noble conduite, il ne serait pas juste de méconnaître le mérite des manufacturiers dont je parle. Ils agissent avec si peu d’ostentation que souvent il est difficile de connaître l’étendue des sacrifices que leur coûte leur libérale persévérance.

Pour prendre un exemple entre beaucoup d’autres, je citerai la filature de MM. B..., qui depuis trois mois a cessé tout travail. Rien n’est plus triste que l’aspect de ces immenses bâtimens déserts dont le silence n’est interrompu à de rares intervalles que lorsque, pour