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avec l’hégélianisme. En effet, quoiqu’elle ne puisse soutenir avec celui-ci la comparaison sous le rapport de l’originalité et de la profondeur, les trois âges historiques qu’elle fait traverser à l’esprit humain sont au moins pour le résultat analogues aux phases, dialectiques de l’idée. Elle laisse de côté la question de savoir ce qu’il peut être en lui-même, d’où il vient, où il va, si même il est en un rapport certain avec une existence substantielle et une vérité absolue, pour ne connaître de lui que ses trois états successifs ; l’état théologique, l’état métaphysique et l’état positif. Ces trois états, surtout les deux premiers, ne sont guère que des modifications subjectives de sa manière d’être, qui ne correspondent à rien d’assuré, à rien de réel, qui supposent leur objet et ne le prouvent pas, les phénomènes et les lois mêmes qu’observe le positivisme scientifique ne préjugeant absolument rien quant à leur cause et à leur nature intrinsèque, et n’attestant après tout que des apparences expérimentales. Cette vue des choses relève évidemment la principale objection du scepticisme contre la raison et la science humaines. Si elles ont été condamnées à se forger des chimères depuis qu’elles existent, et si même dans ces derniers temps elles n’ont eu de réel et de solide que le produit net d’un empirisme méthodique, elles tombent sous les mêmes coups que leur avait déjà portés la critique de Kant, et il ne leur reste de certain, de démontrable, comme le voulait Hegel, que la chronologie de leurs transformations. Dans l’homme, tout devient, rien ne subsiste. Et ce qui attesterait encore l’analogie entre deux doctrines si disparates dans leur origine et leurs procédés, ce serait la ressemblance de leurs derniers résultats. On sait que le stoïcisme critique de Kant, après s’être absolument idéalisé dans Fichte, puis réalisé avec Schelling par l’identité de l’esprit et de la nature, a produit, sous la main de Hegel, une telle doctrine d’unité de toutes choses que ses derniers interprètes, cédant à la facilité et à l’utilité du pur empirisme, sont arrivés à des conclusions théoriques et pratiques qui diffèrent à peine de celles d’un matérialisme vulgaire, avec lequel le positivisme se confondrait, si la gravité du ton et du but n’en distinguait assez honorablement les principaux propagateurs pour les mettre fort au-dessus’ des d’Argens et des Lamettrie.

Il est, je le sais, une école de critique et d’histoire qui ne fait pas profession d’être hégélienne ni positiviste, et qui ne prétend être caractérisée que par les méthodes, les règles et les succès de son investigation. Cette école est fondée à dire que ses travaux et ses découvertes sont au premier rang des conquêtes intellectuelles de notre âge. Par elle, il a été ouvert une source de savoir inépuisable ; par elle, pour la première fois ont été jetées les bases d’une véritable