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belle comme le jour et fait la conquête du comte Rodolphe, neveu du prince d’Aremberg, qui a auprès de lui Bertha, sa nièce fictive, promise à Rodolphe. Il s’établit donc entre ces deux femmes, Ondine et Bertha, une lutte d’amour et de dévouement dont le cœur de Rodolphe est le prix. Après bien des luttes et des scènes inexplicables, on finit par savoir que Bertha, grande dame pleine de vanité et d’orgueil, est la fille ingrate d’Ulrich et de Martha, qu’elle repousse avec dédain, tandis qu’Ondine, douce, aimante et pleine de sollicitude pour les braves gens dont elle se croit l’enfant, est un être supérieur qui appartient à un autre monde. Bertha, repoussée par Rodolphe, retombe dans sa première condition, tandis qu’Ondine, n’ayant pas trouvé sur la terre un cœur qui l’aimât sincèrement, meurt et retourne dans l’empire des eaux, où elle recouvre l’immortalité. Cette belle intrigue est conduite par un personnage curieux qui s’appelle Fraisondin. C’est un dieu aquatique, oncle à la mode de Bretagne d’Ondine, qu’il conduit à travers la vie humaine comme un sournois insupportable qui se mêle de tout, une sorte de Bertram qui ricane et fait le mauvais plaisant.

M. Semet, qui a mis en musique la fable que nous venons d’esquisser, n’est point un inconnu. Il a déjà produit au Théâtre-Lyrique, qui l’a vu naître, trois ouvrages : les Nuits d’Espagne la Demoiselle d’Honneur et Gil Blas, opéra en cinq actes, qui a eu un assez grand nombre de représentations. Dans ces opéras, qui ne sont pas restés au répertoire, on avait remarqué quelques idées mélodiques, de l’entrain dans les rhythmes, un certain désir d’être original et de viser au pittoresque ; mais on sentait que M. Semet manquait d’expérience dans l’art d’écrire, et qu’il ne savait pas toujours donner à ses idées la forme et le développement nécessaires. Dans cette nouvelle partition, froidement accueillie par le public, je n’ai remarqué, au premier acte, qu’un joli duo pour soprano et ténor entre Ondine et Rodolphe, morceau agréable et bien venu, dont le moule existe depuis longtemps. À l’acte suivant, on trouve un air de bravoure bien dessiné et accompagné avec goût, de charmans couplets que chante Ondine par la voix svelte de Mlle Girard, un chœur vigoureux pour voix d’hommes, et le petit duo pittoresque qu’on nomme le Roi des Grillons. Au troisième acte, tout le monde a remarqué le récit fantastique de la Taupe et la prière d’Ondine faisant ses adieux à l’amour et à la vie humaine. À tout prendre, la partition dont nous venons de citer les principaux morceaux n’amoindrira pas la réputation honorable que s’est acquise M. Semet. Si dans les autres ouvrages de ce compositeur ingénieux il y avait quelques mélodies originales, des rhythmes surtout plus hardis et plus piquans, on sent que la nouvelle partition est mieux écrite et qu’elle constate un véritable progrès dans le talent de M. Semet. Les couplets de la Taupe, que nous avons cités, ce récit syllabique et mesuré, au-dessous duquel les instrumens à cordes à l’unisson dessinent une pénombre fantastique, n’est point une conception vulgaire.

L’exécution de l’Ondine a été passable. Mlle Girard, qui était chargée du