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tait depuis assez longtemps une coutume parmi les marchands anglais de déposer leur argent à la Tour de Londres : là du moins il devait être plus en sûreté que chez eux, derrière les gros murs, les poternes et les fossés d’une citadelle regardée comme imprenable. Toutes ces précautions se trouvèrent pourtant déjouées par un ennemi qu’on n’avait guère prévu. Les rois d’Angleterre avaient plusieurs fois contracté des emprunts d’argent ; mais Charles Ier jugeant sans doute que ce qui est bon à emprunter est bon à prendre, fit main basse en 1610 sur les richesses confiées à la Tour.

On devine aisément l’impression que laissa sur les esprits cette étrange manière d’agir : la réputation de la Tour de Londres fut à jamais perdue comme lieu de sécurité pécuniaire, et à dater de ce jour-là les marchands se décidèrent à garder chez eux leur argent sous clé. Cependant les guerres civiles éclatèrent, et avec elles de nouveaux dangers. Les maîtres furent plus d’une fois volés par leurs domestiques et leurs commis, qui, à la faveur des troubles politiques, trouvaient ensuite moyen de disparaître. C’est alors que les orfèvres de Londres, qui formaient déjà une corporation riche et puissante, eurent l’idée de profiter des événemens pour ouvrir des caisses de dépôt. Ils recevaient l’argent des marchands et même des gentilshommes qui ne le jugeaient plus en sûreté dans leurs châteaux ou leurs manoirs, servaient dans certains cas un léger intérêt, et prêtaient ensuite cet argent à un intérêt plus élevé aux personnes connues dont la fortune se trouvait passagèrement embarrassée. Peu à peu ils étendirent le cercle de leurs opérations financières, escomptèrent les billets à ordre, recueillirent les rentes et délivrèrent, en échange de l’argent qui était déposé entre leurs mains, des reçus connus sous le nom de goldsmith’s notes (notes des orfèvres), lesquelles circulaient ensuite de main en main. Qui ne voit ici l’origine des billets de banque ? Jusque-là pourtant les deux professions, — celle d’orfèvre et celle de banquier, — se trouvaient confondues dans le même homme ; mais la loi du progrès devait avant peu les séparer. Dès les premiers temps de la restauration, Francis Child, qui avait été apprenti dans la boutique de William Wheeler, orfèvre et banquier, dont il avait épousé la fille, sépara une profession de l’autre à la mort de son beau-père, et fonda la première maison de banque qui se soit élevée à Londres. Comme pour indiquer le lien entre les deux professions si longtemps unies, cette maison s’érigea sur l’emplacement même de l’ancienne boutique d’orfèvre et garda l’enseigne primitive[1]. D’autres new-fashionable bankers, nou-

  1. Cette enseigne, qu’on peut voir aujourd’hui près de Temple Bar dans l’intérieur des bureaux de Child’s, était un héliotrope se tournant vers le soleil avec cette devise : ainsi mon âme.