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guerre civile encouragée par une partie au moins de l’épiscopat; en Autriche, les anciens privilèges du clergé rétablis par un concordat si contraire aux mœurs actuelles, qu’il n’a jamais pu recevoir une pleine exécution; dans d’autres pays, la liberté minée sans relâche au nom de l’encyclique de Grégoire XVI; en France même, des prétentions si excessives, un prosélytisme si peu scrupuleux, que les pouvoirs publics, malgré eux sans doute, ont dû intervenir : ce sont là de tristes manifestations d’un esprit rétrograde qui semble se peu soucier de l’abîme qu’il creuse sous ses pas. Il est inutile d’insister sur ce côté de la question : tout ce que nous voyons se produire en Europe depuis quelques années démontre clairement que si la guerre déclarée aux idées libérales par la cour de Rome est funeste à la société laïque, elle l’est bien plus encore aux intérêts les plus élevés du catholicisme.

Nous avons essayé de caractériser la situation religieuse des pays catholiques sans nous laisser aller, croyons-nous, aux exagérations que ce sujet inspire souvent; nous n’avons rappelé que les faits les plus notoires et les conséquences immédiates qui peuvent en ressortir. Cela suffit pour montrer que le monde traverse une crise formidable dont nul ne saurait prévoir le terme. Rien ne peut mieux faire comprendre la gravité de l’antagonisme qui éclate entre l’église et la civilisation moderne que d’étudier l’impression qu’il produit sur les esprits qui en comprennent le sens et la portée. À ce titre, la vie et les œuvres de M. Bordas-Demoulin offrent un sérieux intérêt. Nul plus que lui de son temps peut-être n’a éprouvé aussi vivement cette douleur qui arrachait à Fénelon et à Bossuet de si pathétiques accens, car il appartenait à ce groupe d’hommes, chaque jour moins nombreux, également attachés à la foi antique et aux idées nouvelles, qui croient que le salut de la société dépend de leur réconciliation. Il était à la fois très libéral et très catholique, non pas libéral à moitié comme ceux qui ne veulent de la liberté que pour eux, mais l’aimant partout et toujours, et non pas catholique à moitié, comme ceux qui admirent le. catholicisme du dehors et qui en parlent d’autant plus qu’ils le pratiquent moins, mais catholique convaincu, dans la vie comme dans la mort. « Personne, disait-il, n’a été plus triste que moi. » Et cette tristesse n’était pas cette mélancolie vague que produisent de chimériques désirs non réalisés ou cette amertume qu’inspirent des malheurs personnels, la pauvreté, l’isolement, les déceptions de l’ambition littéraire, les blessures de l’amour-propre. Non, c’était cette douleur impersonnelle, cette souffrance née de l’amour des autres, cette tristesse de Gethsémani qui envahit les âmes élevées à la vue des maux et surtout des erreurs de l’humanité. Toute cette vie de souf-