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et tuent les empires. Je fus saisi de terreur sur le sort de l’Europe. Je croyais sentir mon être se dissoudre avec elle, et, dans la plus sombre tristesse, je me roulais violemment d’idée en idée pour échapper à cette destruction imminente; mais toujours je me trouvais en présence des causes que je m’imaginais la produire : partout je voyais le progrès des lumières, de l’industrie, et l’amour sans cesse croissant des nouveautés. Si non-seulement les Grecs et les Romains, mais les Perses, les Égyptiens, qui à peine goûtèrent du fruit de l’humaine pensée, ont péri, quelle destinée attend les nations européennes, qui s’en gorgent? D’un autre côté, le christianisme me semblait répudier la culture de l’esprit, fuir les choses de la terre, se plaire à l’ignorance, à la pauvreté. Depuis plusieurs siècles, il déclinait, en même temps que l’instruction, l’aisance, la richesse, se multipliaient. Cependant je ne pouvais me résoudre à condamner la civilisation, qui me paraissait témoigner la grandeur et la dignité de notre espèce. Tout ensemble donc, je la jugeais bonne et fatale. » Voilà le problème qui s’empara de ce jeune esprit, et qui ne lui laissa de repos que lorsqu’il crut l’avoir résolu. Il dévore tous les livres où il espère trouver quelque éclaircissement, il interroge toutes les philosophies, il scrute tous les systèmes avec l’ardeur du désespoir. Ses immenses lectures, loin de calmer ses angoisses, les augmentent encore, car nulle part il ne rencontre la solution qu’il cherche. Partout il voit un complet désaccord entre les défenseurs de la foi antique et les partisans des idées modernes. Où en effet aurait-il trouvé conciliés le catholicisme et la révolution française, Bossuet et Voltaire, la civilisation et l’église? Enfin, après dix ans d’un labeur sans pareil, d’une méditation continue, poursuivie à travers la souffrance, la misère et la faim, il arriva à posséder le système au moyen duquel il expliquait l’enchaînement des faits historiques et la situation actuelle qui en est le résultat. Quelle était la doctrine où cette âme tourmentée trouvait la lumière et le repos? Sur quelles hauteurs de la métaphysique l’écrivain s’était-il élevé pour juger nécessaires l’un à l’autre deux principes qui se considèrent comme irréconciliables? Comment apercevait-il accord et harmonie là où tant d’autres ne voyaient qu’opposition et antagonisme ?

Le penseur catholique n’avait pas la prétention d’avoir créé en philosophie un système nouveau, loin de là : il tenait pour certain que depuis la Grèce il ne s’était pas produit en métaphysique de doctrine complètement nouvelle, attendu que sur le principe même de la science il ne saurait exister que quatre systèmes essentiellement différens, qu’on peut rattacher aux quatre noms de Platon, d’Aristote, d’Épicure et de Zénon de Cittium. Sa doctrine, la théorie