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sentiment et de langage, s’ils étaient condamnés à subir tout ce que la révolution a détruit et à perdre tout ce qu’elle a conquis.

En présence de ces crises de l’humanité, le jugement et la conscience sont mis à une dure épreuve. Pour les bien comprendre, pour profiter à la fois de leurs œuvres et de leurs leçons, il ne faut s’en laisser ni épouvanter ni séduire; il faut largement admettre leurs complications, leurs contradictions, leurs aberrations, leurs audaces tantôt sublimes, tantôt insensées ou perverses; il faut se dire et se redire sans cesse que les révolutions sont profondément imparfaites et impures, même les plus salutaires, car elles mettent à nu et en branle tout l’homme et tous les hommes, toujours imparfaits et impurs, même les meilleurs. Mais s’il faut se résigner à l’impureté naturelle de ces grands faits historiques, il ne faut pas jeter sur leurs erreurs et leurs vices le manteau de leurs vérités et de leurs vertus. Nous sommes condamnés, en les contemplant, au pénible effort d’être à la fois indulgens et sévères, de voir incessamment le mal sous le bien, le bien sous le mal, et d’accepter, dans notre propre esprit, le continuel mélange de l’espérance et du mécompte, de la sympathie et de l’indignation. Je reprends et j’applique à la révolution française les paroles de Pascal : « si elle se vante, je l’abaisse; si elle s’abaisse, je la vante. » Mais en même temps qu’elle a à subir cette poignante alternative, la révolution française porte et conserve deux grands caractères. Elle a été, non pas une crise isolée et étrange, le rêve et l’accès d’une génération saisie d’une fièvre ardente, mais la suite naturelle des événemens, des idées, des travaux qui ont rempli notre histoire, le développement précipité de ce que la France, depuis trois siècles et bien plus de trois siècles, a constamment considéré comme son progrès dans la carrière de la civilisation. Et aujourd’hui comme en 1789, après ses égaremens et ses revers comme aux jours de sa jeunesse, la révolution française poursuit sa course et fait partout des conquêtes; elle reste pleine d’espérance et de puissance. Elle est la fille du passé et la mère de l’avenir : signes certains d’une loi providentielle à reconnaître et d’une nécessité sociale à accomplir.

Quand les premières et unanimes espérances de 1789 eurent été déçues, quant au lieu du progrès harmonieux de la société française au sein de la liberté politique, la guerre sociale eut éclaté en France et mis ses tyrannies successives à la place de la liberté, quand les diverses classes et les divers partis de cette génération aveuglément puissante furent las de détruire et de s’entre-détruire, il y eut un temps d’hésitation et d’agitation stérile; la révolution victorieuse se sentait épuisée et hors d’état de poursuivre comme de rétrograder; les vainqueurs erraient en chancelant au milieu des ruines qu’ils avaient faites; on voulait s’arrêter et on ne pouvait se