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lui avait rendu en contenant la révolution. Mais le jour vint où, loin de répondre encore, en France et en Europe, au besoin public qui l’avait appelé. Napoléon n’agit plus que selon la fantaisie de sa pensée et de sa passion personnelle : au lieu de régler la révolution française, il la jeta dans un nouveau genre d’excès et de périls; aux égaremens de l’esprit révolutionnaire et de l’anarchie, il substitua ceux de l’ambition guerrière et du pouvoir absolu. Sorti alors de son rôle et de son temps, il tomba naturellement, quoique violemment. Et soit entraînement, soit faiblesse, la génération de 1789, qui avait pris à ses travaux et à ses mérites de reconstruction sociale une part glorieuse, ne sut pas le contenir dans ses emportemens ambitieux et despotiques, pas plus qu’elle n’avait su naguère prévoir et réprimer les emportemens anarchiques. Elle apprit, par cette double et douloureuse expérience, que ni l’égalité ni la gloire ne suffisent à satisfaire aux vœux et aux principes de 1789, et qu’après vingt-cinq ans employés à faire triompher pêle-mêle et à tout prix la révolution et l’empire, la liberté politique et le droit des gens réclamaient à leur tour respect et satisfaction.


Dieu ne trompe pas le genre humain. Les peuples ne se trompent pas constamment dans le cours d’une longue destinée. L’abîme n’est pas au bout de quinze siècles de mouvement ascendant. Certes les déviations, les temps d’arrêt, les ajournemens, les mécomptes n’ont pas manqué à la civilisation française; elle n’en a pas moins continué de se développer et de poursuivre, tantôt sous terre, tantôt au grand jour, ses progrès et ses conquêtes. Et plus elle a grandi, plus la liberté politique lui est devenue nécessaire. L’épreuve de notre propre temps est, en ceci, pleinement d’accord avec celle des siècles. La liberté politique a subi, de nos jours, bien des éclipses; elle a toujours reparu et repris sa place, comme un droit froissé se relève, comme un besoin méconnu recommence à se faire sentir. En 1814, elle était proscrite; on la croyait morte. Je l’ai vue renaître et prospérer. En 1848, un violent accès de fièvre l’a saisie. En en sortant, elle a langui et dépéri. Je ne sais quelles traverses ou quelles atteintes lui sont encore réservées; mais je répète ce que j’ai dit en commençant : j’ai confiance dans l’avenir de mon pays et de la liberté politique dans mon pays, car à coup sûr 1789 n’a pas ouvert, pour la France, l’ère de la décadence, et c’est dans le gouvernement libre seul que résident les garanties efficaces des intérêts généraux de la société, des droits personnels de tout homme, et du droit commun de l’humanité.


GUIZOT.