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statuaire, chercha dans Homère ses sujets favoris. Que de vieux vases, où les figures noires se détachent sur un fond rouge, nous montrent le combat d’Achille et d’Hector, la mort de Patrocle, l’enlèvement de Thétis par Pelée ! D’autres sujets homériques étaient reproduits sur les frises, sur les trônes des divinités, sur les coffrets, précieux, sur l’ivoire sculpté, avec quelle naïveté, c’est ce que nous apprend le bas-relief du Louvre où Agamemnon et son héraut Thalthybios sont désignés par une inscription. Polygnote ne trouva pas seulement des motifs dans les poèmes d’Homère ; il y puisa des pensées hautes et graves, le sentiment de la grandeur et de la simplicité, les attitudes héroïques, les mouvemens dramatiques, l’expression de passions plus qu’humaines ; il y démêla ce mélange de morale et de beauté qui enflammait Alexandre et charmait Horace. L’éducation littéraire est précieuse pour des artistes qui veulent s’élever au-dessus de l’épisode ou du portrait. Les vastes pages de la peinture décorative exigent autant de méditations, de force d’esprit concentrée, de puissance de créer, qu’un poème ou une démonstration philosophique. Nous verrons bientôt ce que Polygnote tira de cette généreuse nourriture.


II

L’an 465 avant Jésus-Christ, une flotte athénienne parut devant Thasos. Elle était commandée par Cimon. Vainqueurs des Perses, chefs d’une puissante confédération, tantôt portant leurs ravages sur les côtes d’Asie, tantôt soumettant les îles à l’obéissance et au tribut, les Athéniens fondaient l’empire maritime qui menaçait de s’étendre sur toute la Grèce. Thasos était désignée à leur convoitise par sa richesse même. On ne possède point impunément des mines d’or. Elle ne pouvait résister, et toutes ses possessions passèrent dans les mains des Athéniens. Cette spoliation n’excita point les haines qu’elle eût soulevées en d’autres temps : le prétexte du bien public couvrait tout. En outre Athènes exerçait un prestige qui la fit reconnaître tacitement pour la capitale intellectuelle de la Grèce. L’éclat dont elle avait brillé sous le règne de Pisistrate et de ses fils n’avait point été effacé, mais plutôt rehaussé par l’héroïsme qu’elle déploya dans les guerres médiques. Cette ville aimable, où les arts avaient fleuri de bonne heure, où les poètes avaient trouvé des couronnes, où la première bibliothèque avait été fondée, où les vers d’Homère avaient été recueillis pour la première fois, s’était livrée à la vengeance du grand roi pour défendre la Grèce. Ses citoyens l’avaient abandonnée pour monter sur leurs vaisseaux : ils l’avaient laissé réduire en cendres pour unir leurs forces à celles des autres peuples et les contraindre à sauver la liberté commune. Enfin le caractère