Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/957

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

draps, et de ses mains crispées déchirant ses oreillers : — Et après ? lui demandai-je tout palpitant ; mais Natalia se mit à pleurer, et ne voulut plus ajouter un mot…


Le lendemain au soir, assez tard, un vif désir me prit de la voir encore. Je domptai une terreur bien naturelle, et sur la pointe des pieds, ouvrant la porte avec le moins de bruit possible, j’entrai dans le salon.

Au milieu, sur une table, était le cercueil, entouré de cierges qui brûlaient dans de hauts candélabres d’argent. Le chantre, assis dans un coin à l’écart, lisait les psaumes d’un ton monotone. Je m’arrêtai sur le seuil pour regarder ; mais j’avais les yeux si affaiblis par les larmes, et les nerfs dans un si pauvre état, que je ne pus tout d’abord rien distinguer. Les objets divers se fondaient en un singulier ensemble : — les flambeaux, le brocart, le velours, les hauts candélabres, le satin de soie rose recouvert de dentelles, la couronne de fleurs, le bonnet enrubanné, puis quelque chose qui avait la pâleur transparente de la cire. Monté sur une chaise pour arriver à voir cette chère figure, mon regard ne rencontrait jamais, à l’endroit où elle aurait dû être, que cet objet d’une pâleur jaunâtre et transparente. Je ne pouvais me persuader que ce fût là son visage. En y regardant avec une attention soutenue, je finis par reconnaître ces traits familiers et que j’aimais tant. Quand la notion me vint que c’était bien elle, le frisson me prit. Pourquoi ces yeux étaient-ils si profondément enfoncés sous leurs orbites ? D’où venaient cette pâleur effrayante et sur une des joues cette tache noire, si visible à travers le transparent épiderme ? Pourquoi sur sa physionomie cette expression dure et froide ? Pourquoi ces lèvres si blanches et d’un si beau dessin, où semblait se manifester d’une manière sublime un calme surhumain tellement nouveau pour moi que je sentis un froid subtil passer à la racine de mes cheveux et se glisser entre mes épaules ?

Plus je regardais et moins je pouvais détacher mes yeux de cette forme sans vie, et en même temps mille tableaux s’offraient à mon imagination, tableaux où l’existence étalait son beau printemps, le bonheur ses rayons et son sourire. J’oubliais que ce corps étendu là, et qui n’avait rien de commun avec mes rêves dorés, c’était elle bien réellement. Je me la figurais ailleurs, tantôt ici, tantôt là, vivante, heureuse et gaie ; puis tout à coup, — un trait particulier venant à me frapper dans ce visage que je contemplais obstinément, — je me trouvais brusquement ramené en face de l’horrible vérité… Le frisson revenait,… mais je regardais toujours.

Je ne sais combien de temps dura pour moi cet état bizarre, où tantôt les rêves effaçaient la réalité, tantôt la réalité dissipait les