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dérable. Quelques Arméniens, investis de grandes charges dans le palais ou mis à la tête de gouvernemens importans avec le titre de europalates, étaient même arrivés à s’asseoir sur le trône de Byzance. On cite aussi un Arménien, du nom de Samuel, qui fut élu roi des Bulgares et défendit longtemps ses états contre les prétentions ambitieuses de l’empereur Basile II. Cependant la politique religieuse des Grecs, opposée à celle des Arméniens, qui ne restaient pas fidèles au rit orthodoxe, tendait chaque jour à leur rendre insupportable le séjour sur les terres de l’empire. Beaucoup d’entre eux, fatigués des vexations qu’on leur faisait endurer, se portèrent plus avant en Occident, et vinrent fonder des colonies dans plusieurs villes de l’Italie, de la Hongrie, de la Pologne et de la Russie.

Malgré ces migrations continuelles et cette dispersion de la race arménienne à travers le vieux continent, il en restait encore de nombreux représentans dans les provinces de la patrie primitive. Les tentatives faites par plusieurs princes issus des anciennes familles pour reconquérir une indépendance depuis longtemps perdue eurent sur plusieurs points d’heureux résultats. De là l’établissement de plusieurs dynasties nationales, par exemple à Van, à Âni et dans le Taurus cilicien. Ici, dans le courant du Xie siècle, un personnage d’abord obscur, Roupèn, chef d’une colonie arménienne, se rendit indépendant des Grecs. Les descendans de ce Roupèn firent quelques conquêtes sur les Byzantins, se fortifièrent dans plusieurs places de la montagne et de la plaine, jusqu’au moment où Léon II, un de leurs princes, ayant soumis toute la région environnée par le Taurus et la mer, se fit décerner la royauté par les croisés. Les états de Léon touchaient à l’est à ceux des princes latins de la Syrie, et étaient considérés par ces derniers comme faisant partie des possessions des Franks en Asie. Les derniers souverains du royaume arménien de Cilicie furent même des Français, issus de la maison de Lusignan. On connaît les aventures de Léon VI, avec qui se termina cette monarchie. Après avoir été fait prisonnier à Gaban par les mamelouks d’Egypte, il resta pendant plusieurs années captif dans les prisons du Caire. Quand il eut enfin obtenu sa délivrance à la sollicitation des rois de la péninsule ibérique, il passa en Europe, visita l’Italie, puis l’Espagne, la France et l’Angleterre, et vint mourir à Paris en 1393 sans avoir pu réussir, comme il le dit lui-même dans son testament, « à recouvrer le royaulme que Dieu luy presta en ceste mortele vie. »

A travers tant de vicissitudes, les Arméniens étaient demeurés fidèles à leur nationalité et avaient conservé toujours intactes leur religion et les qualités morales ou intellectuelles qui leur sont propres. Fortement attachés aux principes de la morale évangélique, ils