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réside aujourd’hui à Edchmiadzin, couvent de l’Arménie russe, au pied du mont Ararat, près d’Erivan. De lui relèvent directement les deux patriarcats diocésains de Constantinople et de Jérusalem. Le patriarche de Constantinople exerce seul sur tous les Arméniens de la Turquie la juridiction civile en sa qualité de chef du pouvoir exécutif que lui confère la constitution. Son pouvoir, en tant que chef civil des Arméniens de la Turquie, est donc supérieur à celui du catholicos d’Edchmiadzin, auquel il ne doit aucun compte touchant les affaires temporelles de la nation. Toutefois c’est le catholicos d’Edchmiadzin qui seul a le droit de consacrer les patriarches et les évêques et de bénir l’huile sainte (myron). Cependant le catholicos de Sis (en Cilicie), son rival, jouit aussi des mêmes droits; mais sa juridiction ne dépasse pas les limites de l’ancien royaume arménien de la Cilicie. On doit même croire que son existence ne se prolonge qu’en prévision du cas où la Russie viendrait à supprimer le catholicos d’Edchmiadzin. Dès lors le catholicos de Sis remplacerait celui de la Grande-Arménie, en recueillant l’héritage spirituel de son rival. Ce privilège à peu près exclusif de consacrer les évêques et de bénir le myron, dont jouit le catholicos d’Edchmiadzin, soutient sa force morale, et conserve chez le peuple sur lequel s’étend sa juridiction la nationalité par l’unité religieuse. Le lien est même si fort que le gouvernement turc a peur d’une telle unité, et prétend aujourd’hui que les Arméniens soumis à son autorité forment un état dans l’état. C’est là le motif avoué par lui des obstacles qu’il suscite à la nation arménienne sur le terrain de la constitution et dans les centres principaux où s’exerce l’action intellectuelle des Arméniens les plus éclairés. Malheureusement son hostilité se traduit d’autre façon encore, par des interventions armées au milieu de querelles souvent suscitées par lui-même dans les régions montagneuses où se trouvent des populations arméniennes moins pénétrées de la vie politique, mais non moins dignes d’intérêt. De là les massacres qui viennent d’ensanglanter le Zeïthoun, et qu’il nous reste à raconter.


II.

Lorsque le voyageur traverse le steppe aride et desséché qui va s’abaissant des sommets du Taurus cilicien jusqu’au rivage de la mer Méditerranée, une profonde tristesse s’empare de lui; un malaise singulier le domine et l’accable. Reportant alors ses pensées vers d’autres temps, il évoque ses souvenirs et cherche à retrouver dans l’âpre contrée qui l’environne quelque trace oubliée de l’opulente Cilicie des plaines. Vain espoir! quelques débris méconnaissables