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peuples, ils doivent aussi en garder la ressemblance dans leur costume, qu’enfin, sous le rapport de la vérité locale, il y a moins loin d’un Bédouin de nos jours à un patriarche de l’ancienne loi que de celui-ci à telle image arbitraire qu’aura tracée quelque grand artiste de la renaissance ? La question a été résolue, et à notre avis sans réplique, par un écrivain à qui la délicatesse de son goût, aussi bien que son expérience personnelle de l’art et du pays, assure en pareille matière une compétence parfaite. « Costumer la Bible, dit M. Eugène Fromentin, c’est la détruire, comme habiller un demi-dieu, c’est en faire un homme. La placer en un lieu reconnaissable, c’est la faire mentir à son esprit; c’est traduire en histoire un livre anté-historique. Comme à toute force il faut vêtir l’idée, les maîtres ont compris que dépouiller la forme et la simplifier, c’est-à-dire supprimer toute couleur locale, c’était se tenir aussi près que possible de la vérité….. Donc, hors du général, pas de vérité possible dans les tableaux tirés de nos origines, et bien décidément il faut renoncer à la Bible, ou l’exprimer comme l’ont fait Raphaël et Poussin. » Et, un peu plus loin, M. Fromentin ajoute avec tout le sentiment et la clairvoyance d’un peintre : « Oui, ce peuple possède une vraie grandeur. Il la possède seul, parce que, seul au milieu des civilisés, il est demeuré simple dans sa vie, dans ses mœurs, dans ses voyages. Il est beau de la continuelle beauté des lieux et des saisons qui l’environnent. Il est beau surtout parce que, sans être nu, il arrive à ce dépouillement presque complet des enveloppes que les maîtres ont conçu dans la simplicité de leur grande âme. Seul, par un privilège admirable, il conserve en héritage ce quelque chose qu’on appelle biblique, comme un parfum des anciens jours; mais tout cela n’apparaît que dans les côtés les plus humbles et les plus effacés de sa vie. Et si, plus fréquemment que d’autres, il approche de l’épopée, c’est alors par l’absence même de tout costume, c’est-à-dire en cessant d’être Arabe en quelque sorte pour devenir humain. Devant la demi-nudité d’un gardeur de troupeaux, je rêve assez volontiers de Jacob. J’affirme au contraire qu’avec le burnous saharien ou le mach’la de Syrie on ne représentera jamais que des Bédouins[1]. »

Les reproches qu’on a le droit d’adresser au talent et aux travaux d’Horace Vernet sont donc de plus d’une sorte, et il serait facile, sur ce point, de faire la part plus large encore à la critique. Quelques mots suffiront toutefois pour compléter l’expression de notre pensée et pour tirer une conclusion des divers exemples que nous avons proposés. Horace Vernet, — nous ne parlons ici que de sa vie pu-

  1. Un Été dans le Sahara, p. 61-63.