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de l’affection qui paraît régner entre les deux époux, de la piété de la jeune femme et de sa religieuse confiance. « Vous allez partir, disait-elle au docteur le dernier jour qu’elle le vit, et je n’aurai plus de médecin pour me soulager ; mais je prierai bien pour votre compagnon malade, pour votre bon voyage et celui de vos amis. » Ce qui la préoccupait le plus quand il fut question d’appeler ce médecin chrétien, c’était la crainte que celui-ci, par hostilité contre la vraie foi ou par quelque mauvais caprice, ne lui défendît de faire chaque jour les prières prescrites par la loi. Quand le docteur Delbet lui dit qu’au lieu de la fatiguer la prière ne peut que lui faire du bien et hâter sa guérison, elle est rayonnante de joie. Son mari passe presque tout son temps auprès d’elle et lui lit le Coran. Il y a là, dans cette maison qui va sans doute être si cruellement frappée, je ne sais quel parfum de mutuelle tendresse, un air de distinction et d’élévation morale que l’on n’est pas accoutumé à attendre des ménages turcs. La chose est peut-être moins rare pourtant qu’on ne serait tenté de le croire ; la moralité humaine heureusement a de ces caprices et de ces revanches qui déconcertent tous les raisonnemens et toutes les prévisions. Ainsi voilà une société où la loi et l’usage consacrent la polygamie, où l’homme peut, s’il lui plaît ainsi, ne voir dans la femme qu’un instrument de plaisir et de reproduction. Or vous y trouverez, et plus souvent peut-être que vous ne le pensez, tel couple qui réalisera pleinement l’idéal du mariage tel que nous le comprenons et que nous sommes censés le pratiquer : ce sont deux âmes qui, douées par la nature de dispositions affectueuses, se seront trouvées rapprochées par un choix judicieux ou par un heureux hasard ; sans effort, sans système, sans se croire meilleures que les autres ni chercher à s’en distinguer en rien, elles offriront ce spectacle, presque aussi rare chez nous, qui faisons tant les fiers, que partout ailleurs, de deux existences intimement unies dans une parfaite concordance de goûts et d’humeur, dans une pleine et sereine confiance, dans une si vive tendresse que la séparation pour elles serait la mort. Il en est de même pour la religion. Certes, en thèse générale, l’islamisme ne développe pas autant que le christianisme tout un côté de l’âme, ces rapports affectueux de la créature et du Créateur, ces élans d’ardente espérance et d’adoration émue qui donnent à certaines vies chrétiennes une si incomparable beauté ; mais toute grande religion contient pourtant nécessairement, au moins en germe, les élémens nécessaires de noblesse morale, et ici encore il se rencontrera des âmes qui, par l’effet de l’éducation, surtout par un penchant naturel, atteindront aisément ces sommets où elles ne semblaient pas destinées à monter ; elles tireront par exemple du dogme austère de la fatalité une tendre dévo-