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l’autorisation d’envoyer leurs fils dans les grands centres pour terminer leur éducation. Les familles de chaque localité avaient fini par ne plus se voir pour ne pas exciter les soupçons d’une police toujours prête à s’alarmer… » Un des produits assurément les plus curieux de cette anarchie qui date de loin, que la configuration du pays favorise, que l’incurie des gouvernemens a entretenue, qu’un calcul politique a même aggravée, c’est cette association étrange qu’on ne s’est décidé à attaquer de front qu’assez récemment, la Camorra, sorte de franc-maçonnerie populaire organisée entre les hommes de violence et d’énergie pour opprimer les faibles et les timides, et assez puissante pour que les régimes précédens, ne pouvant la supprimer, aient tenu souvent à ne pas l’avoir pour ennemie. Elle a été en effet une puissance originale, cette Camorra qu’un des plus spirituels chroniqueurs des révolutions italiennes décrit dans un livre sur le Brigandage dans les provinces napolitaines. « Tous ceux qui osaient manier un poignard, dit-il, étaient fiers de lui appartenir ; ils passaient par deux degrés d’initiation et finissaient par être enrôlés. Ils avaient des chefs dans les douze quartiers de Naples, dans toutes les villes du royaume, dans tous les bataillons de l’armée. Ils régnaient partout où le peuple était réuni ; ils prélevaient un impôt sur l’argent que vous donniez au cocher de votre voiture, ils assistaient aux marchés et s’attribuaient une part du prix des ventes ; ils veillaient aux parties de cartes entre gens du peuple, et du gagnant ils recevaient un tribut. Ils dominaient enfin dans les prisons, et la police ne s’y opposait pas ; à l’occasion, au contraire, elle les appelait à son aide… Quelquefois le gouvernement arrêtait les camorristes et les envoyait aux galères ; mais même de là ils épouvantaient les hommes honnêtes qui vivaient en pleine liberté… Cette société avait des lieux où elle se réunissait, une forte organisation, des lois inflexibles. Les chefs s’attribuaient des droits effrayans sur les affiliés. Si un assassinat était imposé à ceux-ci, ils étaient contraints d’obéir sous peine de mort. Le poignard punissait toute infraction et tranchait toute dispute… »

Qu’on imagine un pays ainsi organisé, avec de telles mœurs, avec l’oppression en haut, la licence en bas, la démoralisation et le culte ou la crainte de la force partout ; qu’on ajoute encore quelques autres causes nées de la révolution ou coïncidant avec elle, l’ébranlement des esprits, une pénurie de récoltes survenant en ce moment dans les campagnes : il est arrivé ce qui devait arriver, ce qu’on a vu à d’autres époques, en 1799 et en 1808. Le brigandage a éclaté, non comme une protestation d’opinion, mais comme l’explosion de tous ces élémens anarchiques trouvant par malheur une force, un prétexte politique, une excitation dans la présence du roi François II