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lons se précipitaient à travers les Alpes dans les plaines du Piémont et de la Lombardie, mais surtout assurément depuis l’heure où retentissait à Milan cette proclamation qui ne s’adressait plus ni aux Piémontais ni aux Lombards, qui parlait aux Italiens en leur disant : « Je ne viens pas ici avec un système préconçu pour déposséder les souverains ni pour vous imposer ma volonté. Mon armée ne s’occupera que de deux choses : combattre vos ennemis et maintenir l’ordre intérieur; elle ne mettra aucun obstacle à la manifestation de vos vœux légitimes. La Providence favorise quelquefois les peuples en leur donnant l’occasion de grandir tout à coup, mais c’est à la condition qu’ils sachent en profiter. Profitez donc de la fortune qui s’offre à vous!... Unissez-vous dans un seul but, l’affranchissement de votre pays. Organisez-vous militairement, volez sous les drapeaux du roi Victor-Emmanuel. Souvenez-vous que sans discipline il n’y a pas d’armée, et, animés du feu sacré de la patrie, ne soyez aujourd’hui que soldats; demain vous serez citoyens libres d’un grand pays! » Le jour où ce langage était tenu au milieu d’une nation ébranlée par la guerre, en présence de souverainetés déjà tombées ou menacées, l’unité de l’Italie, fût-elle encore imprévue, n’était plus impossible, et la politique française, sans être asservie aux incidens, avait accepté au fond, qu’elle y songeât ou qu’elle n’y songeât point, toutes les formes régulières de l’indépendance italienne. Ce qui lie la France moralement encore plus que ses réserves diplomatiques ne la dégagent, c’est la liberté intérieure qu’elle a assurée volontairement, avec préméditation, aux Italiens, qu’elle a garantie après la paix, c’est le principe de non-intervention qu’elle a proclamé en le plaçant sous la sauvegarde de son épée, en traçant la limite que l’Autriche ne pouvait franchir sans se retrouver en présence d’une armée française. M. de Cavour, avec son habile sagacité, ne s’y trompait pas : il entrevoyait bien vite ce qu’il y avait de ressources pour l’Italie dans cette situation; aussi, lorsqu’on lui demandait si en échange de la Savoie et de Nice il avait du moins obtenu de la France la garantie des annexions de la Toscane et de la Romagne, il répondait aussitôt : « Non-seulement l’annexion n’a pas été garantie par la France, mais je déclare que si cette garantie nous eût été offerte, nous l’eussions refusée. Une garantie eût comporté un contrôle, une domination de la part de la France. Il nous a paru très suffisant que cette puissance eût déclaré solennellement à l’Europe qu’elle ferait respecter en Italie le principe de non-intervention. »

Et voilà comment la France est intimement liée par un principe dont elle s’est faite la gardienne, et à l’abri duquel l’Italie a pu se transformer en un royaume unique; voilà comment, en condamnant