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Et ne connaîtra pas l’horreur des jours sans pain.
Nous qui lui survivons, songeons à notre tâche,
Perdre son temps en pleurs est inutile et lâche ;
Les pauvres gens n’ont pas le loisir de pleurer.
Entends-tu, Jean Caillou? Cesse de soupirer.
Allons, je ne veux plus voir de regards humides! »
Et Roch, le tisserand aux paroles rigides.
S’assied a son métier; mais, malgré ses efforts,
Sa douleur se révolte et jaillit au dehors.
Il étouffe, son cœur bondit, ses yeux se mouillent,
Et sous ses doigts tremblans les fils croisés se brouillent...
Un moment comprimés, les pleurs coulent à flots,
Et le sombre logis retentit de sanglots.


II. — RECITATIVO.


Il est midi. Lazare est seul au cimetière,
Assis près de la fosse où l’on a mis son père,
Et de cruels pensers au cœur de l’orphelin
Fermentent sourdement, comme un aigre levain.
Il sent la pauvreté resserrer à chaque heure
Son cercle impitoyable autour de sa demeure.
Et par-delà le mur de l’étroite prison
Il entrevoit le monde à l’immense horizon
Où la foule s’agite et se répand confuse
Comme l’eau bouillonnante au sortir de l’écluse.
Le monde qui sourit, qui chante et resplendit,
Et qu’à son lit de mort le vieux Marc a maudit.
Près de lui tout est noir, là-bas tout est lumière.
— Le mineur qui se creuse un chemin sous la terre.
Et dont les tristes jours ressemblent à des nuits,
Parfois lève la tête, et du fond de son puits
Regarde en soupirant la lointaine ouverture
Qui conduit au soleil, à l’air, à la verdure. —
Du fond de la misère et de l’isolement,
Ainsi Lazare aspire à ce monde charmant.
Et dans sa lutte avec ce désir indocile,
Comme une flamme au vent, sa volonté vacille...
Mais voici qu’à l’abri des saules frémissans
Une ouvrière en deuil s’achemine à pas lents.
C’est Sylvine. L’oiseau qui saute sur la mousse
Et la feuille des bois qui tombe sans secousse
Se posent sur le sol avec moins de douceur