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faite ou d’un cœur troublé, c’étaient là de ces choses qui échappaient entièrement à la compétence de l’Olympe. On pouvait bien demander à ces dieux, au nom de leur toute-puissance, la richesse, la santé et tous les biens extérieurs, leur faire comme à des princes la cour pour en obtenir des faveurs, les rendre même les complices de ses passions, et leur adresser quelquefois des prières intéressées et coupables qu’on aurait eu honte de laisser entendre par les hommes; les biens de l’âme, on n’allait pas les chercher dans les temples, mais dans les écoles de philosophie. Diverses doctrines répondaient aux différens besoins des esprits à la recherche de la perfection morale. Le stoïcisme recevait les âmes fortes, portées à l’action, prêtes aux combats de la vie, qui voulaient tremper leur courage et s’armer de constance. L’épicurisme d’ordinaire, qui n’était pas, je le répète, une école de corruption, mais une doctrine triste, sévère aussi, mais indifférente aux luttes de la vie, recueillait les âmes timides, prudentes ou découragées, et, en apaisant leurs passions et leurs craintes, les endormait dans une sorte de quiétisme païen.

Si jamais Romain morose et fatigué s’est jeté avec un complet abandon dans le sein de la philosophie, c’est assurément le poète qui en a si bien chanté les calmes délices. Qui ne se rappelle ces beaux vers où Lucrèce, retiré du monde, dont les horribles spectacles l’épouvantent, et réfugié sur les hauteurs de la sagesse, contemple l’arène où les hommes s’agitent, et fait un retour sur la paix intérieure qu’il a trouvée dans la doctrine? Par quelles grandes images il nous peint le bonheur de la sécurité dont il jouit! Il se compare à un homme qui, de l’immobile rivage, suivrait des yeux sur la vaste mer des matelots battus par la tempête, ou bien encore à celui qui, sans aucun péril, verrait dans la plaine, à ses pieds, deux puissantes armées prêtes à s’entre-choquer. Ce ne sont point là pour lui les plaisirs d’une curiosité inhumaine, mais les éclats de joie d’un homme à qui les dangers d’autrui font mieux savourer sa propre quiétude. Ceux qui se rappellent ces nobles effusions du philosophe poète savent ce qu’il y a de satisfaction sérieuse dans cet éloignement du monde. Aucune éloquence plus haute n’a jamais célébré la joie philosophique d’un solitaire épris de félicité intérieure. Dans quel lointain et quelle petitesse le conflit des passions humaines apparaît aux yeux de ce spectateur debout sur les hauteurs sereines d’une doctrine désintéressée! Lucrèce demeure tout à fait étranger au monde des affaires, de la politique, de l’ambition, il le déclare avec autant de grandeur que de retenue, avec un dédain concentré sans jactance, qui nous donne la meilleure opinion de sa sincérité. La paix qu’il a cherchée avec un violent désir, il l’a trouvée dans l’épi-