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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




28 février 1863.

L’émotion universelle produite par les événemens de Pologne fait honneur à l’Europe contemporaine. On n’a jamais vu une pareille unanimité de sentimens généreux et une protestation si spontanée contre une politique inique et violente. Jamais non plus la Pologne n’a vu sortir de l’excès de ses infortunes une si claire lueur d’espérance. La question polonaise n’est plus renfermée en effet dans le domaine du sentiment et de la morale ; grâce à une maladresse du gouvernement prussien qui s’est changée en bonne fortune pour une cause si justement populaire, la question polonaise est rentrée dans le champ de la politique pratique, où elle donne enfin prise à l’action des cabinets européens. Si la lutte eût été contenue entre ces bandes héroïques d’étudians, d’ouvriers, de gentilshommes, qui ont cherché dans le désespoir un secours contre le recrutement arbitraire et les troupes russes, cette crise n’eût été pour l’Europe qu’un navrant spectacle. Pour que des gouvernemens éclairés, libéraux, pussent trouver un prétexte d’intervenir entre les insurgés et les oppresseurs, il eût fallu, dans l’état des règles qui président aux relations internationales, que cette lutte douloureuse amenât, en se prolongeant, quelqu’un de ces incidens extraordinaires qui font violence au droit diplomatique et le subordonnent impérieusement au droit humain. Jusque-là, l’Europe occidentale, la France, l’Angleterre, et ce qu’il y a de libéraux en Allemagne n’eussent pu donner à la Pologne que de passives sympathies et des vœux qui n’agissent point. Nous eussions répété toutes les protestations morales contre l’iniquité des partages de la Pologne ; nous eussions dit à la Russie et à ses anciens auxiliaires : Vous voyez bien que Rousseau avait raison ; vous avez dévoré la Pologne, mais vous ne pouvez la digérer. Nous eussions prodigué à ces Polonais qui ont entrepris la lutte sans armes, sans équipemens, dans les marais, dans les