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ou maison du pacha, il y est accueilli de la manière la plus convenable et avec la politesse la plus empressée.

Il ne faudrait pourtant pas se hâter de croire que les raïas n’aient plus rien à souhaiter, et qu’à Angora même, où leur condition est certainement meilleure que dans toute autre ville de l’intérieur, ils jouissent, je ne dirai pas de l’égalité politique, on en est loin encore, mais même d’une sorte d’égalité civile, et d’une tranquillité, d’une sécurité suffisantes. C’est uniquement par intérêt, et non par un sentiment d’équité et par respect du droit, que les fonctionnaires et les grands seigneurs, si l’on peut employer ce mot en parlant de la Turquie actuelle, ménagent les chrétiens et concluent avec eux une sorte de pacte tacite où les uns et les autres trouvent leur compte. Le gros des musulmans, la petite bourgeoisie et le bas peuple, qui paient les frais de cette alliance ou plutôt de cette conspiration, la voient d’un très mauvais œil, et les complaisances intéressées de leurs supérieurs ne font que redoubler leur jalousie à l’endroit des chrétiens et ranimer de vieilles haines, auxquelles il devient cependant de plus en plus difficile d’éclater. Au commencement de la guerre d’Orient, les chrétiens d’Angora eurent une alarme assez chaude. Les bandes fanatiques de recrues qui venaient de Kaisarieh et de l’Arabistan, campées aux portes de la ville, parlaient de massacrer les chrétiens ou tout au moins de piller et de brûler leurs maisons, et à leur voix les Turcs commençaient à s’agiter. Heureusement il y avait alors dans la province un gouverneur qui a laissé d’excellens souvenirs, Moustapha-Pacha, mort depuis muchir de Diarbékir. N’ayant d’autre force que quelques zaptiés, il réussit à repousser les violences que tous ces corps de bachi-bozouks menaçaient de tenter contre les chrétiens pendant les haltes qu’ils faisaient sous les murs d’Angora. Une fois l’évêque en personne alla se plaindre au medjilis d’insultes faites à la croix; il par la si ferme que, malgré les hésitations du conseil, le pacha fît saisir et bâtonner les trois Turcs qui s’étaient rendus coupables de cette insolence. Cette rigueur hardie produisit le meilleur effet : les irréguliers furent intimidés, et hâtèrent leur départ pour Constantinople; dans la ville, les esprits s’apaisèrent. En 1860, au premier bruit des massacres de Syrie, les têtes recommencèrent à s’échauffer. Dans les cafés, on racontait avec un sentiment de triomphe la vengeance que les musulmans de Syrie avaient tirée de l’attitude chaque jour plus provoquante des raïas et des grandes trahisons qu’ils méditaient. Les chrétiens voyaient avec terreur passer dans la rue des derviches au teint bronzé, aux regards ardens et sauvages : c’était de Damas qu’arrivaient ces étrangers, autour desquels se formaient des groupes curieux et passionnés; on leur faisait redire cette nouvelle victoire de l’islamisme, et l’effroi où elle