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més, et les grands recommençaient à porter la tête haute depuis qu’ils la sentaient assurée sur leurs épaules. Comment auraient-ils douté de leur triomphe, lorsque l’épouse délaissée de Louis XIII, qui avait été si longtemps l’instrument passif de leurs complots et la triste victime de leurs défaites, se trouvait en mesure de remettre le pouvoir à ses complices de la veille en satisfaisant à la fois et leurs rancunes et les siennes? Rien de plus naturel que de croire au succès de la vieille opposition seigneuriale; aussi les plus fins y furent-ils trompés. La dernière chose qu’apprennent les partis, c’est que les intérêts finissent toujours par l’emporter sur les passions, et qu’à chaque situation nouvelle correspondent des horizons nouveaux. Si la régente, débarrassée par arrêt du parlement de tous les liens où les hommes du précédent règne avaient prétendu l’enlacer, n’appela pas aux affaires la faction de cour avec laquelle elle semblait identifiée par des souffrances communes, c’est que son esprit, droit, quoique médiocre, se trouva transfiguré par une sorte d’illumination soudaine, à l’heure même où elle se sentit responsable des destinées de la royauté française. Tout entière à ses nouveaux devoirs, Anne d’Autriche pratiqua l’ingratitude avec une rudesse que n’y avait pas mise Henri IV, n’oubliant pas moins les services que les injures et recherchant instinctivement les hommes qui, n’étant rien par eux-mêmes, avaient tout intérêt à fortifier la royauté, afin de conquérir la fortune sans la puissance.

La régente remit à Mazarin la plénitude du gouvernement, parce que cet homme n’avait aucune racine en France, tout en étant au niveau des plus hautes têtes par sa dignité étrangère et au-dessus de tous par son talent. Sous l’inspiration de la même pensée, le premier ministre s’entoura d’agens capables, mais obscurs, que cette double condition rendait plus propres encore à travailler à l’œuvre où étaient venus se confondre, depuis plusieurs siècles, les progrès de la nationalité et ceux de la monarchie françaises. Bientôt commença cette lutte fameuse entre tout ce qu’il y avait d’éclatant par la naissance, par la gloire, par l’esprit, par la beauté, et l’étranger assailli par le ridicule en même temps que par les armes, qui ne résistait au dedans qu’à force de victoires sur l’ennemi du dehors. Dans l’abandon général où le laissait, malgré des succès merveilleux, une impopularité chaque jour croissante, Mazarin n’eut à opposer à la ligue de tous les princes, de toutes les grandes dames et de tous les beaux esprits de son temps que quelques administrateurs en sous-ordre qui, n’étant en mesure d’entretenir aucune prétention personnelle dans l’état, s’effaçaient tous devant l’idée vivace dont ils étaient l’expression modeste, mais dévouée. L’armée, pour laquelle l’écharpe de son glorieux général était un signe plus sacré