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et toutes ses traditions à la bourgeoisie. Grandie à l’ombre du trône, ardemment dévouée au pouvoir royal, auquel elle devait son importance chaque jour croissante, cette classe professait seule, jusqu’au temps de Louis XIV, ce culte de la royauté absolue devenu bientôt après, par la plus imprévue des révolutions, la doctrine exclusive de la noblesse. Pendant que, conformément aux habitudes de l’époque, toutes les sœurs de Nicolas Fouquet, au nombre de six, prenaient le voile afin d’aider leur père à constituer une maison puissante, tandis que deux frères entraient dans les ordres sacrés qui allaient les conduire à l’épiscopat, il était admis à vingt ans dans le service de l’intendance, la plus efficace et la plus durable des créations administratives de Richelieu. Un autre frère, connu dans l’histoire sous le nom de l’abbé Fouquet, encore qu’il n’ait appartenu à l’église que par les gros bénéfices dont il était commendataire, commençait également une longue carrière qui a laissé dans tous les mémoires du temps des traces profondes. Audacieux et dissolu, Gilles Fouquet n’aspirait au pouvoir que pour étendre la sphère de ses jouissances et pour rester protégé contre le mépris public par la crainte qu’inspiraient ses redoutables fonctions. Voué à l’intrigue par goût et par caractère, aux rôles subalternes par ses aspirations et ses instincts, capable de fidélité parce qu’il tenait la fidélité pour un bon calcul, cet abbé de cape et d’épée devint, sans appartenir précisément au conseil officiel de Mazarin, le ministre de sa police, ou, pour parler avec plus d’exactitude, le chef du service de sûreté organisé pour protéger cette vie si détestée, et sous plusieurs rapports si détestable, quoique si nécessaire à la grandeur de la France. Recherchant moins l’éclat que l’influence, ce personnage sans cœur, sans scrupule et sans grâce formait sur presque tous les points un saisissant contraste avec son frère puîné, quoiqu’il ait été pour la fortune du surintendant l’instrument le plus utile et le plus fidèle. Ambitieux autant que l’ambition est compatible avec la légèreté et avec l’infatuation de soi-même, Nicolas Fouquet était à la fois étourdi et laborieux, aussi ardent aux affaires qu’aux plaisirs, affichant la prétention de les mener de front, et se targuant d’une immoralité contre laquelle protestaient, malgré les entraînemens des sens et de la vanité, les enseignemens ineffaçables d’une mère chrétienne. Aussi jaloux d’ailleurs d’inspirer de l’attachement que l’abbé Fouquet de provoquer la crainte, il sut mieux qu’homme en France doubler par une attitude charmante le prix de tous ses bienfaits, et se faire pardonner jusqu’à la rigueur, fort rare d’ailleurs, de ses refus : magistrat par état, homme de hiérarchie administrative par principe, le surintendant avait malheureusement tous les goûts comme toutes les manières d’un grand seigneur, et jouait ce rôle