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tout entier de la main du surintendant et caché par lui derrière la glace de son cabinet de travail[1].

Ce volumineux document, témoignage d’ingratitude et de démence, n’ajoute à peu près rien à ce qu’on savait déjà. Personne n’ignorait que Fouquet, stimulé par des avis secrets et de plus en plus alarmé par l’attitude observatrice de Mazarin, avait médité un vaste plan de résistance pour le cas, moins prochain qu’il ne le supposait, où l’on en viendrait à prendre des mesures contre lui, ce qu’il appelle, dans le préambule du projet de Saint-Mandé, « se garantir contre l’oppression. » On sait que la place, alors réputée inexpugnable, de Belle-Isle, munie de canons et de vaisseaux secrètement achetés par ses soins en Hollande, était le principal rendez-vous assigné d’avance aux amis du surintendant. Maître de la plupart des points fortifiés de la côte depuis Guérande jusqu’à l’Ile-Dieu, dont il avait fait donner le gouvernement au fils mineur de la marquise d’Assérac, complice dévouée de tous ses projets en Bretagne, Fouquet poussait l’infatuation jusqu’à compter sur une insurrection de cette grande province, où il était sans autres racines que les immenses acquisitions territoriales faites tout récemment sous des noms empruntés. Pour défendre l’île que ses flatteurs appelaient son royaume, il attendait le concours de la flotte française, alors aux ordres du commandeur de Neuchèse, sa créature, et du marquis de Créqui, gendre de Mme Du Plessis-Bellière, son amie, courtisan appauvri pour lequel il venait d’acheter de ses deniers la charge importante de général des galères.

De pareilles visées ne pouvaient présenter quelques chances un peu sérieuses qu’autant qu’on s’adresserait à la vieille indépendance bretonne, qui faillit en effet se soulever, dix ans plus tard, sous le gouvernement du duc de Chaulnes à l’occasion de l’impôt du timbre el du tabac, établi sans l’assentiment des états; mais c’est à quoi ne songeait aucunement le plus fiscal des financiers, le plus centralisateur des ministres, l’homme le moins sympathique, par ses habitudes et par ses allures, à la rude et fière province où il n’avait jamais vécu, quoiqu’il en fût originaire. Insensé si l’on s’était appelé Rohan, un pareil rêve était ridicule lorsque l’on se nommait Fouquet.

Dans ce tissu de coupables extravagances, les accessoires étaient à la hauteur du principal, car le préambule du projet de Saint-Mandé contenait, relativement à la politique jalouse du cardinal, des accusations contre lesquelles protestait alors avec éclat sa lon-

  1. On trouve dans la publication de M. Cherruel le texte intégral de ce mémoire, dont M. Pierre Clément avait déjà donné une partie dans son Histoire de Colbert.