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de 2,000 kilimètres de Washington et rendues presque indépendantes du gouvernement central par la désorganisation temporaire de la république, la lutte devait nécessairement revêtir un caractère particulier et se transformer en guerre d’émancipation. Chose étrange ! c’étaient ces mêmes populations agricoles du Haut-Mississipi, sur lesquelles les esclavagistes avaient le plus compté, qui étaient les premières à demander l’affranchissement des esclaves. Tandis qu’à Washington le président et les généraux de l’armée faisaient assaut de courtoisie envers les propriétaires de nègres et témoignaient par leurs actes du respect qu’ils portaient à l’institution servile, les volontaires du Missouri et du Kansas agissaient tout autrement et demandaient à se battre, non pour les clauses de la constitution, mais bien pour la liberté du sol. Les deux armées de l’est et de l’ouest, que l’immense vallée de l’Ohio séparait l’une de l’autre, et qui s’étaient levées au même appel, apportaient chacune sur les champs de bataille un esprit différent. L’une, composée d’hommes appartenant pour la plupart aux classes industrielles et commerçante de race anglo-saxonne, n’avait d’autre but que de défendre la loi ; l’autre, dont les rangs étaient en grande partie formés d’agriculteurs allemands encore tout pénétrés des idées de l’Europe sur l’esclavage, voulaient avant tout faire triompher la justice. Les représentans de ces deux tendances diverses étaient d’un côté le légiste Lincoln, de l’autre le pionnier Fremont. Si ces deux hommes n’avaient pas été animés tous les deux du plus sincère patriotisme, et si la guerre, en se répandant comme une immense traînée de feu de la Chesapeake à l’Arkansas, n’avait pas bientôt fondu tous les contrastes et donné la même impulsion à toutes les armées en marche, l’antagonisme naturel des états de l’ouest aurait pu devenir une source de dangers pour la république et la menace d’une deuxième scission bien plus douloureuse encore que la première.

Dès le commencement de la guerre, les esclavagistes du Missouri se sentirent frappés au cœur. Le prix des nègres, cette valeur impressionnable qui est pour les planteurs d’Amérique ce que le cours de la rente est pour les négocians d’Europe, baissa de 80 pour 100 dans l’espace de quelques mois. Des noirs vigoureux, achetés 1,200 dollars à la fin de l’année 1860, étaient revenus en 1861 moyennant une somme de 200 dollars. Les marchands d’esclaves, complètement ruinés maudissaient les républicains du nord et discouraient en faveur de l’insurrection, « le plus sain de tous les devoirs ». Un grand nombre de propriétaires qui disposaient encore de fonds considérables se hâtaient de vendre leurs terres à vil prix et disaient adieu à l’état du Missouri pour aller s’établir dans l’Arkansas avec leur bétail humain. Les évasions d’esclaves devenaient chaque jour