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avec enthousiasme l’occasion d’accomplir leur œuvre sans avoir à craindre les arguties légales. Héros à la façon des puritains leurs ancêtres, ils étaient résolus à vaincre et prêts à mourir. Sans paie, mal vêtus, mal nourris, complétement dégagés de cette vulgaire ambition de l’avancement qui animait la majorité des autres soldats de l’Union, ils combattaient seulement pour les droits de l’homme et pour la liberté du sol. Leur véritable chef et leur modèle, ce n’était ni Jennieson, ni le sénateur Lane, c’était John Ossawatomie Brown, le pendu de Harpers-Ferry ; dans leurs rangs marchait le fils de la victime, brûlant de venger la mort de son père et chantant avec ses compagnons l’hymne de guerre devenu aujourd’hui la Marseillaise des nègres. Nous donnons ici les paroles de ce chant national qui tient à la fois du cantique religieux et de la marche de guerre[1].

« Le corps de John Brown pourrit dans la fosse, — et les captifs qu’il essaya de sauver pleurent encore, — il a perdu la vie en luttant pour l’esclave, — mais son âme marche devant nous ! — gloire ! gloire ! Alleluiah ! — Son âme marche devant nous ! « John Brown était un héros indomptable et sincère. — Le Kansas le vit à l’œuvre pour défendre nos droits. — aujourd’hui l’herbe verdoie sur sa fosse, — mais son âme marche devant nous. — gloire, etc.

« Il prit Harpers-Ferry avec ses dix-neuf braves ; — il épouvanta la vieille Virginie et la fit trembler jusqu’en ses fondemens ; — puis une bande de traîtres lui fit subir la mort d’un traître, — mais on âme marche devant nous. — gloire, etc. « John Brown était le Jean-Baptiste du Christ qui nous viendra, — du Christ qui fera tomber les chaînes des captifs. — bientôt, sous le soleil du sud, tous les noirs seront libres, — car son âme marche devant nous. — Gloire, etc.

« Vous, soldats de la liberté, frappez, c’est le moment, — portez à l’oppression le coup de la mort que le héros essaya de porter, — car l’aurore du vieux John Brown éclate en un beau jour, — et son âme marche devant nous ! — Gloire ! gloire ! Alleluiah ! — Et son âme marche devant nous ! »

Ainsi le fils de John Brown et ses compagnons d’armes, qui chantaient avec lui la gloire de son père, combattaient, non pour le maintien de l’Union, mais pour l’affranchissement des noirs. L’ordre du général Hallack défendant l’admission des nègres fugitifs dans les lignes fédérales n’était pour eux qu’un vain mot et ne leur arrachait qu’un sourire de mépris. Leur œuvre d’émancipation n’en était point interrompue. À la fin de l’année 1861, les deux brigades du Kansas, composés de 2,000 hommes à peine, avaient à

  1. Il nous a été impossible de découvrir le nom de l’auteur.