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par mois, non compris les rations. Dans la marine américaine, une véritable égalité règne, parmi les matelots, entre les blancs et les hommes de couleur. Ils travaillent, mangent et s’amusent traternellement ensemble sans faire attention à la différence des races.

En décembre 1861, lors de la réunion du congrès, on put mesurer le chemin parcouru depuis la prise du fort Sumter. Dans son message, le président faisait une proposition qui, deux années auparavant, eût été repoussée avec horreur ; il demandait à la nation américaine d’entrer en relations d’amitié avec les deux républiques noires de Libéria et d’Haïti, et de se faire représenter dans ces états par des chargés d’affaires. Il reconnaissait aussi en termes indirects que les esclaves confisqués étaient vraiment libérés, et, afin d’encourager les états du centre à émanciper leurs nègres, il proposait au congrès l’acquisition d’un nouveau territoire pour y établir les personnes de race africaine. Plus hardies que le président, les chambres passèrent la plus grande partie de leur session à discuter et à voter des bills qui, tout en restant dans les limites posées par la constitution, affaiblissaient de plus en plus le principe de l’esclavage. Elles interdirent aux officiers fédéraux, sous peine de revoi, d’employer leurs soldats à la poursuite des noirs fugitifs ; elles ordonnèrent aux magistrats de ne jamais rendre les nègres sans avoir des preuves évidentes de la fidélité du maître à la cause de la république ; elles aggravèrent les bills de confiscation, et furent sur le point d’adopter une loi qui aurait émancipé purement et simplement les esclaves des rebelles. Bientôt après la discussion de ce bill, on entendait le secrétaire de la guerre applaudir au discours du colonel Cochrane disant à ses soldats : « Prenez l’esclave par la main, donnez-lui un fusil, et demandez-lui, au nom de Dieu, de s’en servir pour la liberté de la race humaine ! »

Cependant la loi sur l’extradition des noirs fugitifs existait encore, et les officiers de l’armée l’interprétaient à leur guise, suivant les idées de leur parti ou les vicissitudes de la guerre. Dans le département de l’ouest, le général Hallack et ses subordonnés continuaient de renvoyer impitoyablement tous les nègres qui s’approchaient des lignes de l’armée ; dans la Virginie occidentale, le général Kelley faisait incarcérer les Africains fugitifs en attendant qu’ils fussent réclamés par leurs maîtres ; au Kentucky, des officiers allaient jusqu’à se transformer en marchands de chair humaine, et revendaient aux propriétaires tous les noirs qui avaient imploré leur protection. Dans l’état libre de l’Ohio, des planteurs du sud faits prisonniers étaient autorisés à garder leurs esclaves, et un pasteur protestant, coupable d’avoir favorisé l’évasion d’un noir, était incarcéré pendant six mois. À Washington même, des troupeaux de