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bien ingénieux, de bien profond : elle est tout élémentaire, presque naïve ; mais elle marche à front levé, elle ne cache point les résultats auxquels elle est arrivée, elle ne cherche point à en atténuer la gravité ; elle frappe ouvertement le protestantisme vulgaire, disons mieux, le christianisme traditionnel, dans son dogme cardinal : comment s’étonner que bien des lecteurs aient été jetés dans la plus douloureuse perplexité ?

Il y a toutefois dans le livre du docteur Colenso quelque chose d’infiniment plus grave que les résultats auxquels il arrive, et que l’autorité épiscopale sous laquelle ces résultats sont présentés au public : c’est l’histoire même du livre. L’auteur, dans sa préface, nous a raconté ce qui lui a mis la plume à la main, et cette préface est devenue le récit d’une lutte secrète, d’une agitation douloureuse, et comme un chapitre des mémoires intimes de l’écrivain. Hélas! combien de personnes, dans cette confession pleine de candeur, n’ont-elles pas retrouvé l’image de leur propre expérience! Essayons d’expliquer comment les questions se sont dressées devant notre missionnaire, et comment elles s’imposent à l’église dont il fait partie.

La parole du Christ, le plus simple comme le plus sublime enseignement que le monde ait jamais entendu, ne suffit pas longtemps aux auditeurs qui l’avaient recueillie. En prenant une forme et un corps dans leurs pensées, elle s’y combina avec bien des élémens étrangers, philosophie grecque ou mythologie hébraïque; elle prit la consistance des religions positives; elle se formula en dogmes; elle se cristallisa. Le christianisme ne fut plus une simple proclamation prophétique de paix avec Dieu et de fraternité entre les hommes, il devint une théologie. La révélation fut regardée comme une communication surnaturelle de connaissances religieuses, comme une proclamation de certaines propositions abstraites sur l’essence divine, l’origine du mal, la nature de la grâce. Les germes de cette transformation se trouvent déjà dans les écrits apostoliques, dans le Logos de saint Jean, dans la Justification de saint Paul; mais cette formation dogmatique se développa rapidement. Il suffit de rappeler les discussions des pères et des conciles sur la Trinité et le péché originel, et ces Sommes du moyen âge dans lesquelles la doctrine chrétienne est fixée jusque dans ses plus petits détails et ses conséquences les plus éloignées. Le christianisme était devenu un vaste système de doctrines embrassant le ciel et la terre, le passé et l’avenir de l’humanité, renfermant une théogonie, une métaphysique et une morale, mais qui se distinguait surtout en ce qu’il faisait dépendre le salut de la connaissance des dogmes et de la soumission avec laquelle chacun les recevait. Les recevoir, — fort