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sis à imposer silence à mes scrupules, à m’aveugler moi-même, à faire violence à mon amour de la vérité; mais grâce au ciel je n’y réussis pas longtemps. A mesure que mes connaissances s’étendaient et que mon intelligence s’exerçait, je sentais l’impossibilité de rester fidèle aux doctrines exagérées dont j’ai parlé. Je me refusais encore à admettre que les contradictions de l’Écriture fussent réelles, mais j’évitais de serrer de trop près la question. Absorbé dans mes devoirs pastoraux, je faisais ce que bien d’autres ministres de l’Évangile ont probablement fait dans de pareilles circonstances : je recourais aux explications spécieuses des commentateurs, je me retranchais dans la vérité générale des récits bibliques, je m’attachais aux parties de l’Écriture qui renferment des enseignemens ou des exhortations, et quand je tombais de nouveau sur des difficultés insolubles, manifestes, telles que la création ou le déluge, je cherchais à me persuader qu’il y avait sûrement quelque moyen d’expliquer tout cela. »

Telles étaient les perplexités dans lesquelles se débattait le docteur Colenso, lorsqu’il fut nommé évêque de Natal. Il se lança aussitôt dans la carrière du missionnaire avec toute l’ardeur d’un homme qui croit à l’Évangile comme à un principe de civilisation pour les peuples, de relèvement moral pour les individus. Son premier soin fut d’apprendre la langue des indigènes. Il s’en rendit bientôt maître, et il publia une grammaire et un dictionnaire de cette langue. Il voulut ensuite traduire les Écritures. C’est là ce qui le perdit. En face d’un texte qu’il était obligé d’étudier minutieusement, d’interpréter littéralement, il vit toutes les difficultés revenir en foule et plus importunes que jamais. Ce n’est pas tout. Il avait eu recours dans ce travail à l’assistance de quelques indigènes convertis. Or les Zoulous sont des Cafres intelligens, que leur genre de vie pastorale et la nature de leur pays rapprochent de la condition des anciens Israélites, et qui apportaient à l’étude de l’Ancien Testament les réflexions naïves que suggère une première impression. On en était un jour à l’histoire du déluge; on venait de lire la description de ce vaisseau gigantesque dans lequel des exemplaires de tous les animaux terrestres, quadrupèdes, oiseaux et reptiles, avaient trouvé un refuge. « Tout cela est-il bien vrai? s’écria le pauvre Zoulou; est-il bien vrai que l’arche ait contenu tous ces animaux, et que Noé ait eu de quoi les nourrir tous, les animaux féroces et les oiseaux de proie comme les autres? » Une autre fois on traduisait les lois de Moïse. On en était arrivé à un passage qui permet au maître de frapper son esclave jusqu’à la mort, pourvu que la mort ne soit pas immédiate. « Je n’oublierai jamais, dit Colenso, l’étonnement et l’indignation avec lesquels un des indigènes qui m’assistaient apprit